Les premiers jésuites connaissaient certainement les Turcs. La promesse qu’ils vouaient au pape au sujet des missions « concernant le bien des âmes et la propagation de la foi » impliquait de se rendre, « sans aucune tergiversation ni excuse, immédiatement », partout où l’on avait besoin d’eux. Plusieurs possibilités étaient mentionnées : le Nouveau Monde, « chez les luthériens » ou « n’importe quels autres infidèles ou fidèles » 1. Mais les premiers nommés étaient les Turcs.
À l’origine de l’engagement des premiers jésuites, il y avait la conviction que le Dieu qu’ils priaient ne pouvait être pleinement trouvé que dans l’engagement au service du Royaume. Ils se voulaient contemplatifs « dans l’action », et cherchaient à rencontrer le Dieu vivant dans leurs multiples manières de servir. Même en 1550, Ignace pouvait imaginer quelque chose de ce genre pour une force navale combattant les Turcs à Tunis. Les grâces du jubilé que l’on manquait si l’on était loin de sa patrie, les grâces accordées aux pèlerins qui s’étaient rendus à Rome, au coeur de l’Église, pouvaient aussi s’étendre « à vous qui, pour la gloire du Christ et l’exaltation de la sainte foi, êtes occupés à guerroyer au loin contre les Infidèles » 2.
Mais la contribution la plus sérieuse des Turcs à l’identité jésuite commença et prit fin avant l’instauration de la Compagnie de Jésus. Ce sont les Turcs qui, en 1537, empêchèrent les compagnons de passer d’Italie en Palestine, là où Jésus avait vécu et travaillé ; ce fut donc grâce aux Turcs que, finalement, les premiers compagnons allèrent se mettre à la disposition du représentant du Christ, son vicaire, le pape à Rome. Le reste appartient à l’histoire. Plus tard, les Turcs semblèrent perdre du terrain dans les préoccupations des jésuites. Les Constitutions ne les mentionnent qu’une fois au passage (les scolastiques qui sont destinés à travailler chez les Maures et les Turcs doivent étudier leurs langues 3) et ils n’apparaissent que rarement dans la vaste correspondance d’Ignace.
Quelques-uns se convertissent et se font baptiser ; on évoque souvent la menace qu’ils représentent pour la navigation ; deux jésuites tombent entre leurs mains. Plus tard, à Constantinople, la Compagnie s’adonna à des ministères sans histoire ni éclat, surtout parmi les victimes de la peste 4. Mais il n’est pratiquement jamais question, dans la correspondance d’Ignace, du territoire turc comme étant le théâtre d’un engagement apostolique. Tout se passe comme si la présence des Turcs dans la Formule de l’Institut avait été oubliée.
Cela peut s’expliquer simplement par le fait que les premiers jésuites n’ont plus pensé aux Turcs. Peut-être avaient-ils trop à faire avec tout le reste : les collèges en expansion, les missions en Asie, les défis lancés par les Réformateurs protestants, leurs propres conflits internes. « Le temps manque pour tout faire »...
À l’origine de l’engagement des premiers jésuites, il y avait la conviction que le Dieu qu’ils priaient ne pouvait être pleinement trouvé que dans l’engagement au service du Royaume. Ils se voulaient contemplatifs « dans l’action », et cherchaient à rencontrer le Dieu vivant dans leurs multiples manières de servir. Même en 1550, Ignace pouvait imaginer quelque chose de ce genre pour une force navale combattant les Turcs à Tunis. Les grâces du jubilé que l’on manquait si l’on était loin de sa patrie, les grâces accordées aux pèlerins qui s’étaient rendus à Rome, au coeur de l’Église, pouvaient aussi s’étendre « à vous qui, pour la gloire du Christ et l’exaltation de la sainte foi, êtes occupés à guerroyer au loin contre les Infidèles » 2.
Mais la contribution la plus sérieuse des Turcs à l’identité jésuite commença et prit fin avant l’instauration de la Compagnie de Jésus. Ce sont les Turcs qui, en 1537, empêchèrent les compagnons de passer d’Italie en Palestine, là où Jésus avait vécu et travaillé ; ce fut donc grâce aux Turcs que, finalement, les premiers compagnons allèrent se mettre à la disposition du représentant du Christ, son vicaire, le pape à Rome. Le reste appartient à l’histoire. Plus tard, les Turcs semblèrent perdre du terrain dans les préoccupations des jésuites. Les Constitutions ne les mentionnent qu’une fois au passage (les scolastiques qui sont destinés à travailler chez les Maures et les Turcs doivent étudier leurs langues 3) et ils n’apparaissent que rarement dans la vaste correspondance d’Ignace.
Quelques-uns se convertissent et se font baptiser ; on évoque souvent la menace qu’ils représentent pour la navigation ; deux jésuites tombent entre leurs mains. Plus tard, à Constantinople, la Compagnie s’adonna à des ministères sans histoire ni éclat, surtout parmi les victimes de la peste 4. Mais il n’est pratiquement jamais question, dans la correspondance d’Ignace, du territoire turc comme étant le théâtre d’un engagement apostolique. Tout se passe comme si la présence des Turcs dans la Formule de l’Institut avait été oubliée.
Cela peut s’expliquer simplement par le fait que les premiers jésuites n’ont plus pensé aux Turcs. Peut-être avaient-ils trop à faire avec tout le reste : les collèges en expansion, les missions en Asie, les défis lancés par les Réformateurs protestants, leurs propres conflits internes. « Le temps manque pour tout faire »...
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