Ce livre révèle sa profonde actualité au moment où les hommages à l'œuvre d'Yves Bonnefoy, qui vient de nous quitter, réveillent les débats autour de ce qu'il appelait la « vérité de parole ». En réponse aux critiques qui stigmatisent régulièrement un langage voué à l'extériorité, à des échanges superficiels, à la manipulation des choses ou des hommes, sans contact avec notre vie essentielle et notre expérience primordiale du monde, Philippe Mac Leod affirme que nous parlons, ou devrions parler, à partir d'un « lieu secret », du silence : « Les mots éclosent de ce qu'on mûrit en soi. » Aussi une relation personnelle à Dieu implique-t-elle de veiller sur nos mots, comme en témoignent les Psaumes, les prières de Judith, d'Esther, de Daniel dans sa chambre haute, où la personne se tient devant Dieu avec des paroles qui ne disent qu'elle-même en sa nudité, son histoire et sa demande. La parole assure donc le lien avec notre profondeur. « Elle ne se contente pas d'exprimer, elle explore », dit l'auteur, car nous sommes constitués de plus d'invisible que de visible. Pour autant, elle ne nous enferme pas en nous-mêmes, car elle nous excède et le langage est présence aux autres dans la mesure où il est présence à soi : « La parole rejoindra notre semblable à ce même niveau de conscience où nous nous situons. » Dans cette méditation, Mac Leod retrouve les intuitions de ses précédents livres, Intériorité et témoignage notamment (Ad Solem, 2014), sur la complémentarité vitale entre recentrement et éclosion vers le dehors, vers l'autre.

L'auteur, lui-même poète, tire de cet enracinement de la parole un vibrant éloge de la poésie, et nous propose d'abord de « goûter » des mots tels que « rose », « azur » ou « caresse ». La poésie, dit-il, est une attention soutenue au mystère. Elle consiste à trouver la juste distance qui va permettre la mise en résonance de notre intériorité avec le cœur des choses. Et Mac Leod de citer Pierre Reverdy : « Mille voix qui se taisent, une seule qui parle et tout ce qu'elle dit n'est que l'écho lointain de tout ce qui se tait. »

Dans un très beau chapitre, Mac Leod évoque le moment de sa vocation où il lisait Psaumes de tous mes temps de Patrice de La Tour du Pin sur une plage déserte de Normandie. Comme Élisée prenant la suite d'Élie, il a aussitôt fait sienne la prière du poète de La quête de joie à Dieu : « Sème en nous des mots qui te disent. » Il a ainsi trouvé sa voie d'« homme eucharistique » à la suite du Christ : l'offrande de soi d'un chrétien poète pour dire Dieu, ou plutôt laisser Dieu se dire à travers sa parole, « non plus dans la recherche d'une œuvre personnelle, mais dans l'unique souci de prolonger l'élan créateur et rédempteur ».

Le dernier chapitre est en quelque sorte l'exercice de cette vocation. C'est un hymne aux mots, fleurs ultimes de la Création, à leur genèse qui prolonge la vie. Le poète les compare à des barques, des graines de clarté, des nuages, des îles, des étoiles. Ils nous entraînent dans « la rumeur de dire », rumeur océane qui nous porte à la rencontre du ciel nouveau.