Dans la vie des fratries s’initie notre relation aux autres, avec ce qu’elle comporte d’attirance, d’amour et d’ouverture, mais aussi de haine, de peur et de fermeture. Une telle expérience nous aide-t-elle à reconnaître l’autre comme un frère sans céder à l’idéalisation ? Au moins nous rend-elle plus lucides quand nous faisons acte de fraternité au sein de la société (Remi de Maindreville).

D’avoir les mêmes parents nous fait frères et sœurs, créant un lien tout à fait unique qui porte en lui-même, et à la même mesure, les germes potentiels du meilleur… comme du pire. En effet, ce qui nous lie aux parents dans le besoin que nous avons tous d’être reconnus et aimés
devient le lieu même d’une rivalité qui peut se faire féroce si pointe le sentiment qu’un « autre » est préféré (Nicole Jeammet). La famille, lieu d’une intense fragilité, reste donc le prototype du lien social ultérieur. L’empreinte fraternelle est notre première inscription de l’être au monde. L’interdit de l’inceste et l’interdit du meurtre, tabous fondamentaux de la civilisation, fondés de l’intérieur dès l’origine du petit humain, sont pourtant l’objet de toutes les tentations, voire de transgressions (Sabine Fos-Falque).

Dans le monde grec comme dans le monde biblique, il est difficile de parler des relations entre frères et sœurs sans introduire de nombreuses qualifications. Deux récits significatifs peuvent en dégager les lignes de force : la tragédie grecque d’Antigone et l’histoire biblique de Joseph, deux figures qui ont marqué l’imaginaire collectif jusqu’à nos jours (Jean-Louis Ska). La fraternité, on le voit, relève d’une histoire, d’un vouloir lié à une confiance et à une affection. Faire que l’autre devienne ma sœur ou mon frère, y compris s’il ou elle l’est par les liens du sang, ne peut provenir de la seule « nature », pas davantage de l’unique volonté. Mais il y a aussi ces femmes, ces hommes, qui sont comme des sœurs et des frères pour nous. Parce que nous avons grandi ensemble, partagé les mêmes joies, les mêmes jeux, les mêmes drames (Véronique Margron). Deux films en sont les témoins : À l’est d’Éden (1955) d’Elia Kazan et Ma saison préférée (1993) d’André Téchiné. Ils mettent parfaitement en scène les tensions entre frères, ou entre frère et sœur, pouvant ouvrir un chemin de réconciliation (Jacques Lefur).

Il y a beaucoup à chercher pour spécifier les liens de fraternité non biologique qui se tissent au sein des constellations familiales « recomposées », parfois très mouvantes ; on y parle de quasi-sœurs et de quasi- frères. Cela évoque un jeu : « On va faire comme si on était ceci ou cela, comme si on vivait en tel pays, à telle époque… » Tout vrai jeu est sérieux, surtout chez les enfants, capables d’y apporter gravité et patience (Sylvie Germain). Car il n’est jamais simple de vivre en frères. Si Pierre pourrait être considéré comme un aîné ayant reçu une mission particulière pour ses frères, Paul serait plutôt un fils adopté tardivement. Mais pour l’un comme pour l’autre, qu’il s’agisse d’affermir la fraternité, d’en étendre les contours ou de s’appuyer sur elle pour porter l’Évangile jusqu’au bout de la terre, c’est un délicat chemin que d’être frères dans la foi en Jésus (François Lestang).

La tradition biblique, à travers la manière dont elle pose la question de la fraternité, montre qu’elle cherche et trouve des voies pour mettre en cause les réflexes fratricides inscrits en nous. Mais la percée décisive en la matière est opérée par la figure du Christ, qui transforme profondément les rapports aux frères parce qu’elle associe étroitement la vie en Dieu à la relation aux autres, en commençant par les plus méprisés des hommes (Étienne Grieu).