Les livres sont, pour Véronique Dufief, des « radeaux de survie » qui lui permettent, tant bien que mal, de surnager dans « les eaux dévastées de [s]a désespérance ». De cette terre inconnue qu'est la maladie psychique, elle nous raconte sans fard la traversée de l'épreuve et du temps. Et le lecteur peut croire qu'il va regarder, de la berge, les êtres fragiles se débattre au creux des vagues. Mais c'est de notre commune humanité dont parle – en creux – ce livre : ne sommes-nous pas, tous, emportés par les vents contraires ? « Les vies n'ont pas à être réussies, mais vécues, y compris dans le dénuement le plus total », confie l'auteure. Quand survient ce dépouillement radical, la maladie qui paralyse toute volonté, la vie devient invivable et, pourtant : « Demander. Premier pas de l'amour. Demander. Premier secret de la sagesse. »

Il faut accepter de suivre Véronique Dufief dans cette exploration de l'étrange : « La lenteur me permet de percevoir avec acuité les moindres détails de ma grisaille et de mon délabrement intérieur. » Accepter de vivre au milieu des ruines. « Démissionner de l'orgueil des conquêtes » est tout autant une nécessité qu'un défi spirituel adressé à tous. À Najuka, son interlocuteur invisible qu'elle apostrophe au fil des pages, et à travers lui au lecteur, l'auteure ouvre des pistes et révèle l'universalité de son combat, puisque nous sommes « tous concernés, comme êtres mortels habités par le manque ».

Si donc chacun peut tirer un enseignement de ce livre intime, c'est avec délicatesse qu'il faut approcher la maladie psychique : « Comment vivre, comment survivre, quand c'est le désir lui-même de vivre qui est en cause ? » On ne peut que se taire devant le courage qu'il faut pour habiter le gouffre vertigineux. Écouter, aussi, la résistance passive, le patient engagement qu'il faut pour tenir, leçon pour tous ceux qu'on dit bien portants : « C'est le pain d'angoisse, le pain de cendre dont je me suis sustentée pendant des années, sans lequel je n'aurais pas vécu. » À cette démesure, il faut répondre avec les mots de Christiane Singer : « Ne jamais oublier d'aimer exagérément : c'est la seule bonne mesure. » Et c'est folie.