Attention fragile ! L'avertissement devrait être pris comme une invitation : prêtez donc attention à la fragilité, qui est au cœur même de notre humanité. Dans son dernier ouvrage, Marc Leboucher, éditeur et essayiste, se livre à une méditation très personnelle pour évoquer cet être fragile que la société d'aujourd'hui caricature. L'air du temps nous pousse à la toute-puissance, à la performance, et nous promet bientôt « l'homme augmenté ». Pourtant, plus il devient puissant, plus ce colosse transhumaniste se révèle vulnérable. Et si nous pouvions nous réconcilier avec cette fragilité ?
C'est le pari de l'auteur, qui recense les traces de cette « fragilité » dont le synonyme est peut-être simplement notre « humanité » : l'homme se sachant mortel n'ignore pas que la vie n'est qu'un souffle. Et l'auteur de citer Sylvie Germain : « La fragilité est inscrite dans la chair de tous les vivants, bêtes et hommes. » Le contemporain tente de fuir cette réalité du corps par le recours scientifique, les paradis artificiels, mais aussi, d'une certaine manière, le développement personnel ou toutes ces illusions qui nous promettent la puissance individuelle. Là encore, la réalité est tout autre : la liberté qui est la nôtre est marquée du sceau de la fragilité.
Faudrait-il se lamenter ? Certainement pas : notre commune fragilité est aussi une chance. Celle dont usent les créateurs, écrivains, compositeurs, peintres, cinéastes, pour restituer ce qu'est l'homme. Ce que décrit Marc Leboucher, se référant aux œuvres en tous genres, jusque dans les polars ou les séries télévisées. Certains d'entre eux – tels le franciscain Éloi Leclerc, l'écrivain François Mauriac – sont mis en valeur, à travers des portraits très personnels brossés par l'auteur qui confesse volontiers une « fraternité en fragilité ». Et Bach, encore, qui « a su dégager par sa musique la singularité de nos voix, de nos destins face aux limites de l'existence ».
Mais, habités de cette fragilité, nous ne sommes pas seuls : Dieu lui-même nous précède, Dieu vulnérable, Dieu des fragiles. Cette foi en Dieu présent au cœur du quotidien, malgré ou à cause de nos faiblesses, ne nous préserve pas de l'épreuve ou même – l'auteur ose le mot – de l'enfer et de la tentation. Il nous y accompagne. Le credo du fragile se résume finalement en une profession de foi toute simple : « Je crois au Dieu de la tempête apaisée. »