Qui d'entre nous, à l'âge de l'enfance, ne s'est pas trouvé face à la question : « Qu'est-ce que tu envisages de faire quand tu seras grand ? » C'était une manière gracieuse, de la part de quelques adultes, de nous donner la parole. Pourtant, le ton espiègle avec lequel l'interrogation nous était adressée laissait entendre que la réponse ne serait pas prise trop au sérieux : au fond, ce n'était qu'un rêve d'enfant ! Il aurait fallu une oreille aiguë pour s'apercevoir que ce rêve révélait beaucoup plus qu'on ne le croyait : il annonçait les premières esquisses d'une image de soi – projetée dans l'avenir – qui prenait forme à partir de nos expériences passées, des personnes qui avaient suscité notre admiration et, enfin, des désirs profonds qui habitaient en nous.

Cette activité projective ne s'est pas éteinte avec le passage à l'âge adulte ; au contraire, elle s'est affermie et a pénétré même les pratiques quotidiennes. Combien de fois nous nous surprenons à anticiper en imagination les déroulements d'une rencontre programmée, surtout si elle est redoutée : « Je vais lui dire cela… S'il me pose cette question, je vais lui répondre de cette manière… Je m'abstiendrai néanmoins d'aborder ce sujet… » Sauf à constater, une fois la rencontre terminée, qu'elle s'est déployée d'une manière tout à fait différente de ce qu'on avait prévu. De fait, lorsque nous étions occupés à préparer notre rendez-vous, nous n'interagissions pas avec des personnes réelles, mais avec nos représentations de celles-ci,