« Vaste empire des mers où triomphe l'horreur / Vous êtes la terrible image / Du trouble de mon cœur […] / Je souffrais dans le port les horreurs du naufrage. » Ces mots prononcés par Émilie dans l'opéra Les Indes galantes de Jean-Philippe Rameau, illustrerait-il ce que beaucoup de nos contemporains endurent en ces jours ? De fait, l'Église et notre société affrontent d'immenses incertitudes, de profonds chamboulements, d'inévitables réformes. Le sol semble se dérober. L'imagination s'engouffre aisément dans le pire ou bien rêve déjà d'avenirs tout différents.

L'auteur du livret souligne qu'Émilie qui se projetait dans les tourments de l'amour, comme dans une tempête océanique, considère ce spectacle depuis le port. C'est-à-dire depuis l'extérieur sans être elle-même en danger de mort. Sortilèges de l'imaginaire1 ! Puissions-nous distinguer ce qui relève de la réalité objective et ce qui nous engouffre dans un spectacle étourdissant, mais en partie irréel.

Au long d'un essai lumineux, Robert Scholtus invite à apprendre à « danser en plein séisme2 ». Car il ne s'agit pas tant de décrire à l'infini la situation de crise dans laquelle nous sommes plongés, au point de nous en étourdir, que de vivre en des situations que nous ne maîtrisons pas. Personne ne peut prédire, à ce jour, l'état de la planète et encore moins de ses habitants d'ici cinquante ans, les moyens pour moins souffrir des mortelles pandémies, la manière précise avec laquelle l'Église pourra se réconcilier avec ses si nombreuses victimes et avec la société tout entière.

Du bon usage de notre imagination, tel est un de nos défis contemporains. Alors, nous pourrons épouser avec meilleure intelligence, souplesse et confiance les crises qui se dressent devant nous. Émilie, pour sa part, à la suite d'une franche conversation, retrouvera le merveilleux amour.

 

 
1 Nicolas Grimaldi, Sortilèges de l'imaginaire. La vie et ses égarements, PUF, 2019.
 
2 D'après le titre éponyme de Robert Scholtus, Lessius, 2021.