En janvier 2003, la revue Christus publiait un numéro intitulé « Psychologie et vie spirituelle » qui remporta un tel succès qu'en 2006, la rédaction le transforma en hors-série, afin d'en enrichir le dossier. Au lieu de le réimprimer tel quel une nouvelle fois, nous avons préféré en offrir une version revue et augmentée. Car, seize années plus tard, plusieurs éléments ont évolué, du nouveau est advenu en nos comportements et en notre environnement.

« Distinguer pour unir »

Le numéro initial était sous-titré « Distinguer pour unir ». Il s'agit bien en effet d'aller explorer cette zone énigmatique au plus profond de nous-même, car il y a là un enjeu de maturité et de liberté.

Oser regarder les mouvements ou pensées qui nous débordent, nous dérangent et même nous déplaisent peut demander un certain courage. Nous n'avons pourtant pas à craindre de considérer ce qui se déroule dans notre vie intérieure, tant dans sa dimension spirituelle que dans sa dimension psychique. Pour ce qui est de la dimension spirituelle, une connaissance de nos arcanes intérieurs s'appuie sur un discernement continu ; ce travail ne nous épargne pas le combat spirituel. Pour ce qui est de la vie psychique, une intelligence dans le domaine de la psychologie nous permettra de nous repérer face à ce que nous éprouvons intérieurement. Nous serons ainsi en mesure d'aborder de manière plus sereine et franche les tiraillements et incohérences internes, d'être moins esclaves de telle pulsion ou de tel fantasme, de nous sentir mieux armés face à telle désolation.

Oser considérer les relations possibles entre les dimensions psychoaffectives et spirituelles est la seconde étape de ce travail. Autant nous avons à bien distinguer ce qui relève de la psychologie de ce qui relève de la vie spirituelle, autant nous reconnaissons être une seule et même personne. Notre conviction est que Dieu est présent également en notre chemin d'unification. L'unification – que nous pourrions nommer aussi articulation heureuse – est gage en effet d'un élan dans la vie et vers les autres. Autant la vie psychique ignorée et mal soignée peut-elle devenir un frein au déploiement spirituel, autant son intégration peut-elle devenir un atout. Ce hors-série a cette humble ambition d'aider chacun en ce sens et plus encore d'offrir du soutien à ceux qui, d'une manière ou d'une autre, sont appelés à tenir une position d'aide envers autrui.

« Rien de nouveau sous le soleil », vraiment ?

Depuis 2006, du nouveau est apparu. Premièrement, nous sommes sortis du tout psychanalytique. Désormais, nous constatons la pluralité des approches psychothérapeutiques, au point qu'il peut nous arriver de nous interroger sur la pratique qui sera la plus adaptée à la situation d'une personne en demande de soutien. Nous observons aussi combien la psychothérapie s'est démocratisée.

Deuxièmement, nous observons de profondes évolutions sociétales. Le concept de la société liquide1 s'avère très pertinent ; certains qualifient même nos contemporains d'hommes de sable2.

Troisièmement, la succession des révélations concernant les crimes sexuels, violence et abus en tout genre a mis au jour la part sombre qui nous habite tous. Elle a aussi interrogé plus d'un sur sa propre conduite, sur les garde-fous dont il dispose, sur l'attention collective à laquelle il se doit. Nous sommes enjoints à davantage recourir aux sciences humaines, à la psychologie en particulier.

Ces bouleversements sociétaux, auxquels s'ajoutent l'état de notre planète, les pandémies et les guerres, entament en profondeur notre foi dans les technologies, la possibilité d'une vie tranquille et même l'espérance.

L'ampleur et la profondeur de ces nouveautés nous convoquent à un grand réalisme, à une modestie aussi, et à une approche interdisciplinaire (une des recommandations du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église [Ciase]). Tout comme nous avons à articuler en chacun de nous les différentes dimensions de notre être, de même, pour aider quelqu'un qui le demande, il est bon de savoir tenir notre place soit d'accompagnateur soit de psychothérapeute, mais sans oublier la complémentarité de ces deux approches. La psychologie, par exemple, peut tenir en éveil notre écoute spirituelle. Elle peut aussi nous conduire à évoquer auprès d'un retraitant la possibilité de recourir à une aide psychologique. Par ailleurs, l'accompagnateur, qui serait mis à mal dans un accompagnement ou atteint au niveau de ses propres fragilités psychoaffectives, devrait avoir le réflexe de solliciter une supervision psychologique et non pas seulement spirituelle. Cette situation illustre ce à quoi nous-mêmes, en Église, sommes appelés : sortir d'un éventuel vase clos ou de l'entre-soi3.

Joie et espérance, malgré tout !

Parler du rapport entre les dimensions psychologiques et spirituelles de nos vies nous convoque à l'ouverture. C'est aussi une invitation à considérer la place de Dieu, qui vient nous rejoindre dans le composé entier de nos existences.

Reconnaître nos fragilités est finalement source d'espérance. Car personne ne peut plus alors surdéterminer sa mission. Il n'est qu'un seul Dieu, laissons-lui la place, ainsi qu'aux si nombreux moyens humains à disposition.

1 Sygmunt Bauman, La vie liquide, Le Rouergue – Chambon, 2006 (Fayard, 2013), et Le présent liquide. Peurs sociales et obsession sécuritaire, Seuil, 2007.
2 Catherine Ternynck, L'homme de sable. Pourquoi l'individualisme nous rend malades, Seuil, 2011.
3 Voir Collectif, J'écouterai leur cri. Cinq regards de femmes sur la crise des abus, Éditions de l'Emmanuel, 2022, en particulier l'article d'Agata Zielinski, pages 115-119.