« Voici le miracle, les corps solides ; mes soucis, mes projets et le Jour. »
Paul VALÉRY



Éveil : le mot sonne peu dans notre quotidienneté. Il paraîtrait presque précieux, réservé aux poètes, aux rêveurs, aux oisifs, voire aux libertins — avec l'éveil des sens —, ou encore à la pédagogie de l'enfant. On ne saurait s'étonner de sa faible résonance en ce qui concerne les adultes. Sa fraîcheur insolite correspond peu à notre rythme de gens actifs. Plus que d'éveils, nous avons l'expérience réitérée de réveils ; et ce n'est pas jouer sur les mots. Tous les jours nous connaissons cette forme impérieuse qui nous sort du sommeil : sonnerie, radio, téléphone ; injonction. Nous voulons être réveillés. Cela se programme, vient de l'extérieur, fait irruption, mieux, fait rupture dans le sommeil, qu'il soit fil fragile ou nappe épaisse, informe et lourde. Le réveil est le rappel comminatoire — et fort utile — des choses à faire, du rôle à tenir, des engagements à respecter, des rendez-vous à honorer. Il nous situe dans le temps de l'action, des tranches horaires, des minutes comptées, du sens pratique, du calcul et de l'organisation ; en un mot : de la vie sociale.
L'éveil a une autre tonalité ; il appartient à un autre ensemble. L'expérience est rare, ne s'impose pas de l'extérieur, ne rompt ni n'interrompt le sommeil. L'éveil arrive sur l'aile du repos, nuit achevée, comme s'il n'était possible qu'une fois épuisée toute la fatigue accumulée. Il naît d'une clémence ; il a comme un parfum de liberté. Il est sans brimade, comme la venue d'une douceur, une éclosion naturelle à la fin d'un cycle. Il fait partie de la bonne nature des choses et de la vie, comme si la personne tout entière, corps et esprit indissolublement, se trouvait soudain restaurée, disponible,