Du spirituel en politique,Bayard, coll. « Spiritualité et politique », 2008, 123 p., 13,50 euros.
Faut-il lâcher prise ?Mêmes éditeur, collection et année, 100 p., 13 euros.


Après les années du « tout politique », le temps semble venu, dans l’Église comme dans la société, du « spirituel d’abord ». Dans les librairies, le succès des rayons « Spiritualité », « Développement personnel », « Religions/ Ésotérisme », « Psychologie » ne se dément pas. Les âmes réclament leur « supplément ». Or, comme toutes les consignes et toutes les modes, l’injonction du « tout spirituel » risque d’engendrer d’amères déceptions.
C’est pour les prévenir que la collection « Christus » inaugure le champ : « Spiritualité et politique ». Les deux premiers ouvrages rassureront les esprits : on ne revient pas quarante ans en arrière, à la décennie des printemps dont les fruits n’ont pas toujours tenu la promesse des fleurs. La prière et la vie spirituelle dont on traite sont en prise sur leur époque : ses désenchantements, ses nouveaux mirages et ses vraies questions. Petits ouvrages, faciles à lire (loi du genre choisi pour cette collection), mais ouvrages incisifs et qui vont droit là où ça fait mal. On ne pouvait les confier à n’importe quelles plumes.
Celle de Paul Valadier, observateur aigu et passionné de la chose publique, dresse un tableau suggestif, descriptif et théorique à la fois, des rapports complexes entre le politique et le spirituel aujourd’hui. Il définit d’emblée ce qu’il entend par spiritualité. L’acception est large, mais rigoureuse : il s’agit de l’ouverture sur l’autre (avec et sans majuscule), et une ouverture « incarnée ». Sont donc disqualifiées d’emblée les « spiritualités sans Dieu », qui évacuent toute forme de transcendance, aussi bien que les évasions ascensionnelles, individuelles et collectives, vers un éther d’insignifiance. Les dangers de l’une et l’autre attitude sont clairement envisagés, exemples à l’appui. Le politique, en effet, l’engagement pour le bien commun, ne peut faire l’impasse sur la transcendance, sur l’aveu que « l’homme passe l’homme » (Pascal) et que le lieu ultime du pouvoir doit demeurer vide, comme un point de fuite vers un absolu qui ne se laisse pas instrumentaliser : un homme, un parti, une idéologie ne sauraient l’occuper sans conséquences désastreuses. Au coeur de la vie en société, il y a un « mystère » (Gaston Fessard). Une politique sans âme débouche sur la technocratie, la sacralisation indue du politique (rousseauisme, nazisme, communisme), bref le totalitarisme. Inversement, une spiritualité désincarnée fait le jeu de l’injustice établie. Et si cette utopie s’avisait de dicter ses oukases au politique sans respecter les nécessaires médiations, le totalitarisme, « spirituel », cette fois, ne vaudrait pas mieux que l’autre (Savonarole).
En appelant à « l’énergie spirituelle », P. Valadier demande simplement que l’invocation de « la dimension spirituelle » de la vie en société ne demeure pas un slogan rituel. La prise au sérieux de la contemplation, du silence, du pardon en est la condition. Figures inspiratrices : Maritain, Havel, Patocka, Hillesum, Soljenitsyne, Tutu, Mandela. Il vaut la peine de suivre ces analyses, beaucoup plus fines que ne le laisse supposer ce résumé. Ouvrir le livre de Robert Scholtus, c’est commencer par humer l’air du temps. « Lâcher prise » : le slogan fait florès non seulement dans les milieux dévots, mais aussi chez les psy, les gourous et les coaches. Aux âmes endolories par le stress, la dépression ou le désarroi, on enjoint : « Laissez-vous un peu aller !… Cool, les gars !… Cessez de placer la barre trop haut !… Ce n’est pas vous qui sauverez le monde, ni l’entreprise… » L’heure n’est plus à l’alpinisme, aux dents serrés, aux muscles contractés, mais à la glisse. Il faut surfer, flotter, mince, léger, en apesanteur. Nous sommes bien dans l’ère du vide. R. Scholtus excelle à évoquer les nouvelles obsessions. Il n’est pas moins convaincant lorsqu’il en dévoile les risques : la démission devant la vie, le renoncement à être soi. La forme d’« abandon » qu’il préconise fait appel, au contraire, au courage de la confiance, autre nom de la foi (Paul Tillich). La riche tradition chrétienne, qu’il connaît admirablement, lui en fournit les traits. Entre volontarisme et veulerie, il y a un chemin. D’abord, il ne s’agit pas de s’abandonner tout court, mais de s’abandonner à Quelqu’un. Si épaisse que fût sa nuit, Thérèse de Lisieux a toujours voulu croire qu’elle n’y était pas seule, comme le Christ à Gethsémani. « Il suffit d’aimer », oui, mais de vouloir aimer.
Entre volonté et abandon, y aurait-il contradiction ? Dans la logique chrétienne, qui n’est pas celle d’Aristote mais celle de la vie, non. La contradiction n’est qu’apparente entre l’énergie d’un Foucauld et sa confiance d’enfant, ou entre résistance et soumission selon Bonhoeffer. Entre Jacob et l’Inconnu du gué de Penuel, le combat fut à mains nues : la fausse sécurité des armes avait été déposée, comme on voit sur la peinture de Delacroix. L’abandon est un combat pour lequel et dans lequel on se laisse désarmer. Le paradoxe est celui de la foi : foi en une puissance qui se révèle dans la faiblesse choisie. Ce livre représente sans doute le meilleur essai spirituel de ces dernières années.