L'année 2021 marque le deuxième centenaire de la naissance de Dostoïevski et offre l'occasion de découvrir ou de se replonger dans une œuvre romanesque qui porte éminemment la question spirituelle1. L'ouvrage ramassé et modeste au bon sens du terme du père André Brombart, religieux augustin de l'Assomption et ancien assistant du supérieur général des Assomptionnistes, peut constituer une excellente introduction au monde de l'écrivain russe et à sa vision de l'homme. Car c'est tout un regard anthropologique qui se dégage de l'imaginaire de celui-ci, porté sur un homme blessé et divisé, un « double » en quête d'unification au prix d'un intense combat spirituel. Parcourant la galerie des personnages qui incarnent cette lutte intérieure, tels le Raskolnikov de Crime et châtiment ou le Prince Mychkine de L'idiot, l'auteur invite à appréhender des romans où les récits sont enchâssés les uns dans les autres comme autant de fascinantes « poupées russes ». Ce sont des personnages d'humiliés, de femmes ou de jeunes filles, violées ou prostituées, qui résonnent toujours aussi fortement à nos yeux à travers l'actuelle question des abus sexuels, où par certains mécanismes pervers, « la victime est revêtue de l'habit du coupable », où l'insulte suprême est celle portée à l'âme en une marque quasi indélébile. Ce sont les fous, les infirmes ou les malades, comme le Prince Mychkine atteint de crises d'épilepsie, porteurs pourtant d'éclairs du divin, de moments de paix pouvant indiquer de manière discrète l'engagement de Dieu dans notre monde. Comment ne pas voir, là aussi, des correspondances avec notre époque, si inquiète du mental et du psychologique ? Ce sont enfin les personnages d'enfants, comme le Kolia Krassotkine des Frères Karamazov, pas tant idéalisés qu'agités par les passions du monde adulte, humiliés aussi ; et les cœurs purs, tel l'Aliocha Karamazov issu du même roman. Chez ce dernier, le père Brombart perçoit très largement l'homme en voie de divinisation cher à Fiodor Dostoïevski et aux Pères orientaux : « Le non-jugement et le regard de miséricorde porté sur les autres sont caractéristiques de l'homme divinisé. » En ce sens, tout homme est promis à la rédemption et à la résurrection, ce que proclame une œuvre non scolastique ou dogmatique, mais profondément ancrée dans l'expérience humaine de l'écrivain, en proie au doute, à la maladie et à la menace de la mort. Mais à qui voudrait croire au caractère définitivement pessimiste d'un corpus romanesque foisonnant, il n'est que de relire la bouleversante finale des Frères Karamazov, cette profession d'espérance et de foi livrée par Aliocha aux enfants qui viennent d'enterrer l'un des leurs : « Ah, mes petits-enfants, ah, mes chers amis, n'ayez pas peur de la vie ! Comme la vie est bien quand on fait quelque chose de bien et de juste. »

1 Pour consulter une récente anthologie de l'écrivain, voir Julia Kristeva, Dostoïevski, Buchet-Chastel, 2020.