En ces jours où trop de nos contemporains se découvrent travaillés par le désespoir, nous avons désiré faire réentendre la voix biblique. Car il en faut des encouragements et des éclairages pour retrouver le cours de la vie, faire émerger un sens lorsque souffrances et injustices nous assaillent ! La Bible ne nous raconte-t-elle pas des sorties de cauchemar, après des tunnels traversés et des déserts arpentés ?

Une époque éprouvante

Nous percevons l'état d'anxiété ambiante, voire le désespoir de certains autour de nous, et la situation de crise qui place nos contemporains dans l'inquiétude. Nous observons d'ailleurs l'intérêt de nos lecteurs lorsque nous abordons ce thème. Cette situation de crise n'est pas nouvelle. Car il n'y a pas de vie sans crises ni épreuves, pas d'existence droite sans difficultés à surmonter. La liste des épreuves physiques, psychologiques ou spirituelles qu'endurent les humains se révèle infinie : maladie, pauvreté, vulnérabilité, mise en péril, guerre, exil, découragement, silence de Dieu, perte de sens… Les difficultés sont concrètes mais aussi intérieures, souvent les prolongements de ces obstacles rencontrés. Jean-François Baudoz remarque par exemple que « toute épreuve est en quelque sorte l'occasion d'une tentation1 ». Jacques Guillet, pour sa part, nous fait observer que la maladie est ressentie comme le poids de la solitude, celle de la mort2. Ainsi, la Bible apparaît comme une excellente taxinomie des épreuves que l'homme a rencontrées par le passé et sur lesquelles il continuera vraisemblablement de buter. Christoph Theobald nous fait réfléchir sur ce point de manière très suggestive, en présentant le livre de l'Apocalypse tel un livre pour temps de crise, dans l'Antiquité romaine comme de nos jours3.

Dieu à nos côtés

Le progrès de nos vies ne va pas passer par une capacité à éviter les épreuves. Car l'existence humaine ne peut rêver s'en prémunir. Le propre du malheur est que nous nous y découvrons à chaque fois démunis et fragiles. S'il y a un progrès à espérer, il se situe du côté d'une plus grande maturité, dont les attitudes principales sont l'humilité, l'engagement de notre volonté et de notre persévérance, mais plus encore l'appel à l'aide en direction de proches, la capacité à crier vers Dieu.

Reconnaître ainsi notre fragilité en temps d'épreuve conduit à savoir mieux appeler au secours, lequel vient de Dieu et des autres. Pour autant, il ne s'agit pas de nous en remettre seulement à Dieu, mais de nous engager d'autant mieux dans le combat. L'enjeu est de trouver un subtil équilibre entre liberté de l'homme et salut qui vient de Dieu. À ce titre, Abraham apparaît comme une figure inaugurale ou matricielle, lui qui a su traverser de multiples tribulations grâce à la confiance qu'il accorda à Dieu. Il est maître en « lâcher prise », au sens d'un appui qu'il sut ne jamais oublier, appui qu'est la promesse de Dieu. Avec Abraham, nous contemplons un Dieu qui s'engage, entre en dialogue, tient parole et permet de traverser des obstacles que l'on croyait insurmontables.

La vie se découvre ainsi comme un lent apprentissage à nous laisser aider par Dieu. Nous le professons : « La foi n'est pas la réponse à un coup de cœur passager : elle engage dans une longue et parfois difficile aventure qui ne dispense ni des épreuves, ni des nuits4. » Le propre de l'épreuve est de durer, d'être vécue comme un drame, de faire endurer la solitude, voire l'isolement. Les livres bibliques nous font entrer dans ces expériences. Ainsi entendrons-nous le psalmiste crier : « Dieu a-t-il oublié de faire grâce5 ? »

Pour autant, à temps et à contretemps, le bibliste donne à voir que Dieu ne se dérobe jamais. L'homme peine à le reconnaître, il est vrai. Ainsi en est-il de Jacob en son combat nocturne6 ou bien du psalmiste qui crie vers Dieu son désespoir et sa confiance ! Le Verbe de Dieu, en décidant d'aller à la rencontre de cette humanité blessée, en subissant lui-même tentations, rejets des hommes et angoisses, incarne par excellence cette figure d'un Dieu éminemment présent à nos tribulations humaines. Dolores Aleixandre l'écrit merveilleusement en décrivant Jésus qui désire se trouver aux côtés de ses frères quand leur vie est en jeu, leur liberté en danger7. Cela vaut pour l'homme ou la femme en leurs parcours individuels, cela vaut aussi pour une société, un peuple tout entier. Le livre de l'Apocalypse est le témoin de communautés envisageant la possibilité du repos avec le Christ.

Joie de l'épreuve traversée

Nous n'aurons jamais à nous réjouir d'avoir subi une épreuve. Mais a posteriori peut-être aurons-nous gagné en maturité spirituelle. Tous les articles de ce hors-série montrent que la vie est possible, malgré sa rudesse. Dans les moments les plus difficiles, la Bible nous raconte comment il nous est donné ce dont nous avons besoin pour continuer à vivre malgré tout. Une force inattendue, un élan redécouvert au moment le plus désespérant, un « miraculeux » retournement de situation apparaîtront le plus souvent au terme d'une longue prière, la prière en temps de crise que Jésus nous enseigne par sa vie même, prière souvent mise à l'épreuve elle-même, prière qui s'apparente parfois à une lutte avec soi-même et avec Dieu.

1 Jean-François Baudoz, « Les tentations de Jésus », p. 104.
2 Cf. Jacques Guillet, « Jésus, la maladie et la mort », pp. 164-169.
3 Cf. Christoph Theobald, « Lecture de l'Apocalypse », pp. 200-207.
4 Bernard Rey, « L'engagement de la foi », p. 55.
5 Alain Marchadour, « Les chemins de la providence dans la Bible », p. 188.
6 Cf. Eberhard Jüngel, « La lutte avec Dieu », pp. 126-136.
7 Cf. Dolores Aleixandre, « “Il leur échappa tout nu” (Marc 14, 52) », pp. 109-117.