Marne, coll. « Un certain regard », 2000, 149 p., 30 €.

Il faut toujours prêter une attention particulière aux sous-titres. Celui qu'a choisi Claude-Henri Rocquet annonce, commente et résume et son propos et l'oeuvre de Van Gogh. Alors qu'on croyait tout savoir sur le peintre, une toile s'expose ici, éblouissante. Et, de l'éblouissement, il en est comme du feu : ou bien il vous consume, ou bien il vous éclaire ; de toute façon, il purifie. Le Champ de blé aux corbeaux de Van Gogh, non dernière toile mais dernier soleil, est ce feu. Le tableau « ultime et testamentaire », peint à Auvers, en juillet 1890, nous dit la vie de Van Gogh, sa pensée, sa détresse, sa solitude, sa foi. Elle est la « Passion » que Vincent a renoncé à peindre et qui s'embrase ici dans l'alchimie mystérieuse des couleurs, noir des corbeaux, bleu de l'orage, doré du blé, vert inextinguible de l'herbe des bords du chemin. Mais on n'atteint pas ces rivages ultimes sans être passé par de longs méandres. Aussi est-ce de façon très symbolique que l'auteur montre au début de son ouvrage un autre Champ de blé, dit à l'alouette. En 1887, le blé y était vert et l'oiseau y passait comme une âme portée par le vent.
Entre les deux ? C.-H. Roquet n'expose pas l'oeuvre de Van Gogh. Il la suit lettres en main, oeuvres sous les yeux, dans cette quête sublime et douloureuse du dernier soleil C'est dans la boue noire et froide du Borinage où le grisou rend aveugle, où la fièvre donne des visions, qu'elle commence. Puis l'amitié qui éclaire et réchauffe, le père Tanguy, Gauguin, l'estampe japonaise, la Provence, les cyprès, les tournesols solaires, les jardins de pures flammes — tout s'embrase La nuit artésienne elle-même irradie le monde Pourtant, alors que sa main ouvre le ballet pour la Nuit étoilée, où « chaque étoile est un soleil », ses yeux restent désespérément voilés, et son coeur a froid.
Lui, « le peintre, le visionnaire, l'inspiré, l'éveillé seul dans la nuit de Saint-Rémy », ne voit pas ce qu'il veut voir (Dieu) mais le Christ en Croix. Alors, à Auvers, près de la petite église, havre de ce coeur qui voudrait se confier, Vincent a saisi, non le buisson ardent, non le char de feu, mais l'écran brûlant des blés dorés : ils lui révélaient Celui qu'il a tant cherché.