Trop partiel, ce jugement oublie que le christianisme est aussi à l’origine d’une humanisation de la nature. Dès le haut Moyen Âge, il a permis de trouver le courage d’affronter une nature souvent hostile et de surmonter les peurs qui y étaient liées ; il a permis de rendre l’espace habitable en drainant et équilibrant les sols, en domestiquant les espèces ; il a permis de le rendre durable par la culture des végétaux, par la régénération et l’entretien des forêts et territoires ; il a permis de tisser et pacifier des liens entre l’homme et son environnement naturel.
Mais un tel jugement montre bien aussi jusqu’où s’enracine la question écologique aujourd’hui. Intérieure aux différents aspects politiques, sociaux, culturels, éthiques exigeant des recherches et des solutions appropriées, s’y révèle une profonde crise spirituelle : quel regard l’homme porte-t-il sur son environnement, sur la nature, sur la planète où il vit, le cosmos, la terre dont il est façonné pour une part ? D’où ce regard lui vient-il et dans quelle mesure peut-il y changer ? Qu’est-ce qui inspire les attitudes personnelles et collectives dans notre rapport au monde ? La question du sens de la vie qui engendre ces attitudes a généralement été portée, racontée, célébrée par les religions ou les sagesses. Et aujourd’hui, on invoque volontiers la nécessité et les bienfaits d’une éco-spiritualité pour accompagner une véritable attitude écologique.
Le respect pour la création
• Le respect dû à l’oeuvre de Dieu refuse la destruction systématique de la création, tout comme il interdit à son égard d’un rapport de pure violence qui la défigure, la pille. Un rapport juste à la nature appelle donc au discernement d’une justice, et Dieu Lui-même, dans la foi, se l’applique au moment du déluge : plus jamais de « dé-création », tout ce qui y conduit se fait contre la volonté créatrice de Dieu (Gn 9,14-17). La création induit une attention, une relation d’amour entre Dieu et le créé qui dépasse l’intention signifiée par l’Alliance.
• Mais le vrai respect de l’environnement va aussi à l’encontre d’une fascination de la nature, voire de sa divinisation païenne, où l’homme lui serait en tout soumis. Créé de terre (adam) mais animé par le souffle que Dieu met en lui, l’homme ne trouve ni son achèvement ni son salut dans la nature, mais dans la vie que Dieu lui donne pour la travailler, l’organiser, et ainsi l’habiter.
La Parole de Dieu a ici force d’inspiration, riche en figures symboliques. La terre salutaire et sauvée, enjeu de relations heureuses et fraternelles, demeure toujours « terre promise », objet d’une foi qui invite simultanément à accueillir la création comme don et à la continuer. Elle se refuse à la convoitise qui en fait un enfer ou un monstre, comme Jérôme Bosch l’a illustré de manière si évocatrice. Mais à qui l’aime, la travaille pour en maintenir la fécondité, elle se confie comme une soeur toujours à découvrir hors de toute possession. La terre n’est pas seulement nourricière, elle est aussi présence dont le rythme s’entend depuis « le murmure de fin silence » perçu par Élie jusqu’aux grondements et fracas affolants de l’Apocalypse. Là se donnent à sentir, pour qui se laisse appeler, l’attention et la bonté d’un Dieu qui fait choix des hommes pour construire un monde toujours plus habitable, et dire avec Lui : « Cela est bon » (Gn 1,10).
C’est pourquoi le premier pas de notre démarche nous amène à accueillir ce regard du Créateur qui est avant tout et un Père qui donne consistance à la vie en offrant aux hommes sa parole et son souffle. Se recevoir de cette bonté palpable dans l’environnement naturel et humain qui l’ouvre à la confiance, telle est la toute première position de l’homme au monde. Du plus loin qu’il se perçoive, il ne se voit pas autrement que lié à un environnement naturel et humain.
Combat et discernement
Avoir un regard juste sur l’environnement ouvre encore au combat intérieur et au discernement. Dépasser la peur et l’envie, sortir de la fascination, juguler la violence, refuser de jouer la terre contre le ciel, ou inversement, nécessite une éducation, une purification. Plus encore, c’est peut-être l’expérience du désert, l’épreuve du temps, le goût de la forêt et de la méditation qui modulent notre regard en lien avec celui du Christ et creusent en nous un désir et une manière d’habiter la terre.
L’écoute de « la création en enfantement » (Rm 8,22) nous ouvre à notre responsabilité et inaugure une modalité nouvelle dans notre rapport à l’environnement : habiter la terre, c’est habiter « en elle » avec un respect, une sobriété, une simplicité renouvelés dans ce que nous exigeons, prenons, recevons d’elle. Mais habiter la terre, c’est aussi l’habiter « avec elle » – ce qui est inséparable d’un « vivre ensemble » où la place de la terre est honorée, à travers des modalités de gouvernance qui font droit à sa réalité présente et à son devenir.
La terre, l’environnement, la nature sont plus qu’un reflet de la gloire de Dieu, signe de son amour et de sa vie. Mais ils ne sont pas pour autant habitation de Dieu ni images ou figures de Dieu. Ils sont un témoignage de sa bonté et un chemin de salut pour nous, qui peut nous mener à sa lumière. Comme tels, ils sont dons signifiant la présence de Dieu aux hommes. La Contemplation pour obtenir l’amour, au terme du parcours des Exercices spirituels, offre une manière de le vivre au quotidien dans l’amour et la foi.