Bayard, coll. « Christus », 2007, 118 p., 19,80 euros.

Marie-Thérèse Abgrall, membre de la Communauté Saint-François-Xavier, enseignante et accompagnatrice spirituelle, nous introduit ici de manière vivifiante à l’aventure spirituelle : ni un « ailleurs » de la vie, ni un plus qui la ressourcerait, mais le tout de la vie relu à la lumière de l’Esprit. Car la vie spirituelle n’est « pas autre chose que la vie humaine dans sa totalité » : non une « sphère spéciale mais son accomplissement, sa plénitude », elle « prend toute la vie, non un moment de l’existence ».
Dans cet ouvrage, pour lequel ont été revus des articles notamment publiés dans Christus, on retrouvera certains thèmes comme l’« amitié », la « grâce de l’âge » et « du consentement », « faire la vérité dans sa vie », dans un style qui est propre à Marie-Thérèse Abgrall, ciselé, à la fois ténu et grave, de cette gravité qui a du fond. Convaincue que « le travail de la grâce en nous donne à chacune de nos existences singulières un poids et une profondeur d’humanité singuliers eux aussi », l’auteur choisit trois entrées pour regarder les occasions et les expériences où grandit et prend sens notre humanité.
Dans une première partie, intitulée « Oser dire », Marie-Thérèse Abgrall invite à faire confiance à la parole d’un amour qui libère de la crainte d’être indigne et convoque à un triple ministère « de louange, d’enseignement, de consolation ». L’image des semailles rappelle que même dans l’opacité d’un monde d’indifférence tranquille à Dieu, le Semeur ne cesse de semer, en un don surabondant et gratuit. Un don qu’il importe de reconnaître et de recevoir avec gratitude : « L’action de grâce n’est pas de l’ordre de la justification mais de l’offrande », ce dont Jésus à la Cène a montré l’exemple « inconditionnel ».
La deuxième partie, « Apprendre à marcher », évoque ces réalités que sont l’amitié vraie, la conversation, le repas partagé, qui fondent et donnent goût à la vie. Laquelle peut être relue, en vérité, comme « un acte de remise et d’abandon qui nous demande seulement de nous situer devant Dieu ». Dégagés d’une fausse humilité qui « méconnaît le don », nous sommes invités, à travers un libre commentaire du Psaume 89, à travailler avec confiance à « l’ouvrage de nos mains ». Par-delà nos infidélités éprouvées, il est possible d’engager notre vie. « La vie avec Dieu dans l’esprit (...) est en nous, elle irrigue notre être tout entier, nos tâches journalières et toutes nos relations. Elle est la sève même de notre vie à tout moment. (...) Tant que nous n’avons pas commencé à le découvrir, nous restons en quête d’une vie spirituelle désincarnée et qui n’a pas prise sur notre réel, sur nos engagements et nos projets. » Il s’agit de nous rendre « disponibles intérieurement », d’une « docilité intérieure qui nous rend souple et libre », demandant moins à l’Esprit « que nous faut-il donc faire [que] d’où nous vient quelque chose ? ». Cette vigilance « en prise avec le réel », mais voyant au-delà, nous permet d’« habiter notre vie », d’y « consentir » : il ne s’agit plus de faire, mais d’être.
La troisième partie, « Devenir source », ouvre à une présence, à partir du motif de la Visitation (étymologiquement formée sur le fréquentatif du verbe « voir »), mode sur lequel Dieu se manifeste en nos vies, appelées à lui donner corps : « Il ne s’agit pas de discourir sur Dieu, de parler de lui, d’écrire sur lui, mais de pouvoir, avec nos pauvres mots et toute notre faiblesse humaine, le laisser dire et faire en nous ce qu’il veut. » Entre la méditation et la conversation, sur le ton de la conversation spirituelle, « comme un ami parle à son ami », Marie-Thérèse Abgrall risque une parole singulière et originale, nourrie de l’Écriture, de poètes (Claudel, Péguy, Bernanos) comme de grandes figures (Simone Weil, Madeleine Delbrêl, Frère Roger). Son regard, d’espérance, de foi et de charité nous dispose à lire les signes des temps sous la conduite de l’Esprit, sa parole éveille et « ouvre au large notre coeur », s’il sait écouter le « murmure d’un fin silence ».