Depuis bientôt sept années, je dirige le centre Laennec de Marseille qui accompagne plus de 900 étudiants, de 17 à 25 ans, de la première à la sixième année des filières médicales. Avant de recevoir cette mission, j'ai été aumônier national de la branche aînée chez les Scouts et Guides de France et investi dans la formation des chefs et cheftaines. J'aime travailler auprès de la tranche d'âge des 17-22 ans car la vingtaine est le moment où, pour beaucoup, les « choses » se cristallisent : l'orientation professionnelle, les grandes conceptions de l'existence, le rapport aux autres, la relation à Dieu et l'expression de la foi, la personnalité, les engagements sociétaux et politiques, l'orientation sexuelle…

Les aspirations spirituelles des 17-25 ans

À travers la grande diversité de personnalités et d'itinéraires qui constituent le groupe hétérogène des 17-25 ans, il est malgré tout possible de repérer quelques lignes de force. Je perçois chez des jeunes de cet âge, qu'ils soient catholiques ou non, un grand désir de bonheur, au sens où Paul Ricœur l'entend : « une vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes ». Or ce grand désir de bonheur se décline dans les grandes dimensions constitutives de l'existence humaine : la tension entre la vie et la mort, la question de la vérité et du mensonge et la relation entre l'homme et la femme. Ces trois dimensions sont de réels enjeux et, dans leurs aspirations, les jeunes adultes sentent bien que c'est avec elles qu'ils doivent s'expliquer et avancer.

Entre vie et mort

Les jeunes que je rencontre sont fortement conscients qu'ils ont la vie devant eux, sans pour autant avoir une conscience nette de ce qu'est vraiment la vie. Ils désirent vivre à fond, sans pour autant donner à cette vie une orientation de fond. Ils aspirent à vivre pleinement, sans pour autant reconnaître à cette vie un caractère sacré.

L'enjeu du travail éducatif et pastoral est d'aider ces jeunes à découvrir qu'ils ne sont pas la source de leur propre vie. La source est là, souvent ensablée. Ils le pressentent confusément. Il s'agit alors de les aider à désencombrer cette source, à découvrir avec joie que Dieu veut la vie de l'être humain et que la vie vivante qu'ils désirent n'entre pas en concurrence avec la vie que Dieu donne. Il s'agit également de les aider à ordonner leur vie, aux deux sens du terme : mettre de l'ordre et donner une orientation. Dans le bouillonnement intérieur qui est le leur, il faut les aider à discerner ce qui conduit à la vie et ce qui en éloigne. Tous sont à un moment ou à un autre en prise avec des expériences comme « mourir d'ennui », « se tuer au travail », « crever de jalousie », « se morfondre dans le ressentiment », « jouer avec la mort »… En ce sens, ils sont demandeurs non pas tant de repères, comme on le dit facilement, que de clefs pour comprendre ce qui se passe en eux, pour démêler l'intrication entre les forces de vie et celles de mort.

Entre vérité et mensonge

Les jeunes ont également un grand désir d'authenticité même si, parfois, ils se laissent séduire par mille et une paillettes. Le passage à l'âge adulte s'accompagne de beaucoup de désillusions. Les illusions de l'adolescence se heurtent souvent à la dure réalité. Une scoute aînée ayant vécu un projet d'équipe en Afrique disait à ses parents, à son retour : « Vous m'avez beaucoup apporté… mais il y a une chose que vous ne m'avez jamais apprise, c'est la pauvreté. » Les jeunes découvrent, souvent à leurs dépens, tous les mensonges et les lâchetés des générations précédentes. Cela peut conduire certains à une sorte de nihilisme. Malgré tout, je perçois chez beaucoup une quête de vérité, pas une vérité de guimauve, naïve ou pieusarde. Sans sévérité, ni complaisance, les jeunes veulent que les choses soient dites telles qu'elles sont. Même si, parfois, ils se font des films, ils n'acceptent pas qu'on leur raconte des carabistouilles. Au cœur de cette recherche de la vérité, qu'ils admettent volontiers plurielle et provisoire, les jeunes sont prêts à entendre des paroles vraies et sincères. Dans cette perspective, quand l'occasion leur est offerte, ils sont réceptifs à la parole de Dieu. Ils y pressentent une vérité « douce comme le miel et tranchante comme le fil de l'épée ».

L'enjeu du travail éducatif et pastoral est de leur donner d'entendre des paroles de croyants, et de leur donner accès à la parole de Dieu en ouvrant avec eux « le petit livre des contradictions qu'est l'Évangile » selon une belle formule d'un dominicain, aumônier scout.

Entre homme et femme

Les jeunes, enfin, aspirent à vivre en vérité les relations avec les autres : vivre des amitiés fortes, s'engager dans une relation amoureuse solide. Le papillonnage souvent constatable n'est qu'une manière maladroite de vivre cette aspiration à aimer pour de vrai. Quand les masques tombent, les jeunes ne relisent jamais le zapping amoureux et sexuel comme une réussite heureuse. C'est que, au fond d'eux-mêmes, le désir de fidélité est plus fort.

Pour ma part, j'essaie d'aider les jeunes adultes, sans moralisme aucun, à vivre des relations basées sur la confiance, le respect et la fidélité. En matière amoureuse, il est capital de les aider à découvrir que la parole donnée doit précéder le don du corps, que le corps de l'autre n'est pas un objet (de jouissance) mais le corps d'un sujet merveilleux et mystérieux, que l'amour n'est pas seulement affaire de sentiments amoureux – ô combien volatils – mais aussi une question de volonté, de résolution et d'engagement.

Le risque du jeunisme

Notre Église a un peu trop tendance à maintenir dans la jeunesse des personnes qui devraient être considérées comme des adultes. Certains groupes qui participent aux Journées mondiales de la jeunesse, par exemple, sont constitués de personnes âgées entre 14 et 35 ans. Dans les mouvements, certains sont considérés comme jeunes professionnels jusqu'à 40 ans. On parle même de jeune prêtre tant qu'il n'a pas dépassé la cinquantaine ! Selon moi, il ne faudrait plus parler de jeunesse au-delà de 25 ans ! Appréhender les jeunes selon le large spectre des 15-35 ans est peut-être une manière inconsciente ou délibérée d'augmenter les chiffres. Considérer séparément les 15-20 ans, 20-25 ans, 25-30 ans et 30-35 ans pourrait conduire à une prise de conscience douloureuse. Dans l'Église, chaque groupe rassemble en effet finalement peu de monde. Quand on évoque les jeunes adultes, je crois donc important d'insister sur « adulte » plutôt que sur « jeune ». Cela évite d'entretenir une forme de consumérisme, dans lequel le jeune adulte se comporte en consommateur d'activités organisées pour lui. Entretenir une forme de jeunisme dispense de faire vraiment confiance à cette population.

Donner des responsabilités

Il vaut mieux chercher à responsabiliser au maximum les jeunes adultes. De ce point de vue, la société est bien en avance sur l'Église. À 21 ans, une infirmière diplômée d'État peut se voir confier la responsabilité des soins d'un service entier durant une nuit entière. À 24 ans, un interne en médecine prend en charge des malades aux urgences et un interne en chirurgie opère des patients. Au même âge, un diplômé d'HEC ou d'une école d'ingénieur exerce des responsabilités dans l'entreprise. Au même âge encore, des artisans lancent leur affaire ou des agriculteurs prennent en charge leur exploitation. Dans l'Église, rares sont les lieux où on confie de telles responsabilités aux jeunes adultes. Pourtant, je constate que cela est possible : une des grandes forces du scoutisme est précisément de leur confier des responsabilités significatives.

À Marseille, l'aumônerie des étudiants du monde de la santé a été créée par quelques-uns d'entre eux, et non par des ecclésiastiques. Ce sont les participants eux-mêmes qui ont attribué à cette aumônerie un nom : Team'one, en référence à l'hôpital de la Timone. Ce sont eux qui, chaque année, élisent une petite équipe de responsables et qui portent l'animation de leurs activités. Je constate un réel dynamisme de cette aumônerie. Les participants cheminent vers une véritable maturité de leur foi.

L'initiative qu'a prise l'archevêque de Marseille de créer un Conseil pastoral diocésain des jeunes va selon moi dans la bonne direction. Il ne s'agit plus de plaquer des propositions pastorales d'en haut, mais d'associer les jeunes adultes à la mission de l'Église.