Chaque année, la longue traversée liturgique du carême et du temps pascal nous présente un paradoxe dont nous perdons parfois de vue le caractère inouï : celui d'une mort qui est pourtant vie. À travers les textes de l'Évangile que nous lisons jour après jour jusqu'à Pâques, il nous est donné d'assister à la progression d'une implacable logique funeste : petit à petit, la tension monte, les oppositions au Nazaréen s'affirment et les conflits se multiplient jusqu'au terrible dénouement. Pour nous, témoins accablés de ces événements, une question surgit alors : comment se fait-il que cette chronique d'une mort annoncée, par celui-là même qui va la traverser, soit un récit de vie ? De la même façon qu'il avait passé son chemin au milieu de la foule en colère (Luc 4, 30), Jésus affronte avec détermination l'hostilité croissante de ses opposants, annonçant quoi qu'il en coûte la bonne nouvelle dont il est porteur. Sa liberté ne s'exerce pas dans le choix d'un sort plutôt qu'un autre mais dans sa détermination à rester fixé sur la fin pour laquelle il a été envoyé parmi nous. Il trace son chemin, faisant sien ce qui advient. Il ne laisse pas cette mort à venir ronger la vie par avance. Ni indifférent à la souffrance qui s'annonce, ni épargné par la peur (ses dernières heures à Gethsémani en témoignent), il révèle que l'existence peut ne pas être contaminée par la mort alors même que cette dernière est inéluctable.
Finalement, la formule facétieuse attribuée à Alphonse Allais – « La mort est un manque de savoir-vivre » – s'avère tout particulièrement pertinente : si Jésus a vaincu la mort, c'est précisément parce qu'il savait vivre. Lui seul peut nous enseigner le savoir-vivre nécessaire pour rester bien vivants…