Mais pourquoi, si souvent, notre mine s’allonge-t-elle vers le bas ? Qu’est-ce qui nous rend tellement sérieux, si graves ? Seraient-ce les soucis, la crainte de rater un projet stratégique, déterminant pour la suite ? En tout cas, le rire a du mal à se frayer un chemin au milieu des obligations de bien faire et de réussir, des impératifs d’être vigilants, rigoureux, de compter, vérifier, peser, décider, corriger, reprendre, ajuster, intervenir au bon moment, refaire les calculs, rectifier le tir, faire passer l’info, mettre les choses au point, serrer les objectifs, penser au financement… Dans tout ça, il ne s’agit pas de rigoler ! Et l’on n’a pas non plus le loisir de vraiment se réjouir. La joie est sans cesse reportée à la fin des opérations, quand tout sera achevé, bien bordé, terminé, évalué. Là seulement, elle pourra éclater. En attendant, elle est suspendue, jusqu’à nouvel ordre. Et plus on l’attend, plus on l’imagine immense, recouvrant tout de sa clarté, comme une victoire définitive. En vérité, cette apparition tant espérée se produira-t-elle ? Ou bien n’est-ce qu’un mirage, une illusion qui s’évapore pour peu qu’on s’en approche ? Il arrive, cependant, qu’elle soit autorisée à entrer, quand tout va bien, lorsqu’on pense que c’est presque gagné. Mais souvent alors, elle apparaît sous la forme de la satisfaction plutôt que comme une vraie joie aux joues roses et aux yeux espiègles. Elle se racle la gorge et hausse le menton et, aussitôt, on sent qu’on va s’ennuyer. Car, avec la satisfaction, il n’y a rien de nouveau, rien d’imprévu. On constate seulement que les objectifs sont atteints. Ça rassure, on garde ses chances de bien terminer dans la course. Mais, finalement, c’est encore la course, pas la fête…

Heureusement, il y en a toujours qui trichent avec la joie. Chez eux, le rire arrive hors rendez-vous, il débarque à l’improviste comme s’ils raflaient la mise sans attendre le résultat des courses. Ce sont les enfants, les clowns et tous ceux qui se prennent les pieds dans le tapis sans honte ni aigreur, mais aussi ceux qui ont renoncé à prouver quelque chose ou qui, à vrai dire, n’y ont jamais pensé. C’est pourquoi l’on trouve ici aussi des personnes très fragiles, marquées par le handicap, ou bien à la fin de leur vie, ou celles dont l’existence reste très précaire. Pour elles, chaque rencontre est une fête géante, comme un cadeau de plus, immérité comme tous les autres, mais qu’on peut accueillir à bras ouverts. Pour elles, la joie, c’est maintenant que ça commence, elle ne souffre aucun délai ni retard ; et ça leur paraît tellement évident qu’elles pourraient tous nous en convaincre !

De fait, ceux qui sont affairés lèvent le nez ou regardent par-dessus leurs lunettes, stupéfaits, dubitatifs, ou au bord de l’indignation. La confrontation a deux issues possibles. Soit le rire est stoppé net par la convergence de ta...


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