La Genèse mentionne à trois reprises (Gn 17,17-19 ; 18 et 21,6-7) qu’un couple âgé stérile éclate de rire quand on lui annonce la naissance d’un fils. Le lecteur demeure intrigué par ce détail surprenant et se demande pourquoi la tradition a retenu cet élément sans grand intérêt, au premier abord. En fait, dans l’Ancien Testament, l’humour dissimule souvent une donnée théologique importante ; c’est du moins la conviction que nous avons acquise en étudiant de près la fonction de l’humour et du rire dans l’Ancien Testament 1 .
Trois mentions dans la Genèse
Vérifions sur le rire d’Abraham et de Sara le bien-fondé de notre hypothèse. Regardons de près les trois passages.
Le rire d’Abraham
Yhwh vient annoncer à Abraham que Sara lui enfantera un fils (Gn 17,17-19). Au lieu d’être plongé dans une attitude reconnaissante, le patriarche part dans un grand éclat de rire qu’il tente de dissimuler : « Abraham se jeta face contre terre et il rit ; il se dit en lui-même : "Un enfant naîtrait-il à un homme de cent ans ? Ou Sara avec ses quatre-vingt-dix ans pourrait-elle enfanter ?" » (v. 17). « Abraham dit à Dieu : "Puisse Ismaël vivre en ta présence !" » (v. 18). Puis Dieu dit : « Mais non ! Ta femme Sara va t’enfanter un fils et tu lui donneras le nom d’Isaac. J’établirai mon alliance avec lui comme une alliance perpétuelle pour sa descendance après lui. » (v. 19).
Nous sommes en présence d’un comique de situation reposant sur deux quiproquos : l’annonce de la naissance d’un fils à Abraham est incongrue au regard de l’âge du couple et inutile puisque le patriarche possède déjà un fils. C’est pourquoi il rit et demande implicitement à Dieu de bénir le fils qu’il lui a déjà donné (Ismaël). Son rire semble vouloir dire : « Elle est bien bonne celle-là ! » Mais la promesse s’accomplira bel et bien, malgré les obstacles.
Ce rire a en fait un sens théologique. Il est celui du sceptique qui demeure incrédule devant l’impossible. Lors de son appel, Dieu avait fait à Abraham une double promesse : une descendance nombreuse et un pays. Sa femme n’étant plus en âge de procréer, il recourt aux moyens humains disponibles pour avoir une descendance. Sara choisit une femme plus jeune (Agar) qui devient enceinte d’Abraham et lui enfante son fils premier-né (Ismaël). Quant au pays promis, il se résout, faute de le posséder, à vivre en nomade, n’ayant comme gage qu’une parcelle chèrement acquise où il...