L'auteur de cet article, prêtre des Missions étrangères de Paris en Inde, engagé dans le dialogue interreligieux avec l’hindouisme. Il a raconté son expérience dans Prêtre à Bénarès (Lessius, 2018).

 « Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu. Là où tu mourras, je mourrai. » Ces mots extraits du livre de Ruth formaient la devise missionnaire du père Pierre Ceyrac. Cette devise, il la reçut de son mentor, l’abbé Jules Monchanin. Le commentaire de ces mots par un autre missionnaire ami de Pierre Ceyrac nous introduit dans le mystère des liens qui unissent trois hommes, consacrés à l’Inde.

Après son ordination en 1945 à Kurseong, dans les Himalayas, le jésuite Pierre Ceyrac (1914-2012) revint au sud de l’Inde pour poursuivre ses études de littérature tamoule dans la vieille ville de Trichy. Ce fut pour lui l’occasion d’être proche de son mentor, l’abbé Jules Monchanin (1895-1957), qui influença si durablement ses premiers pas missionnaires. Les deux hommes s’étaient rencontrés pour la première fois à Lyon, en 1937, lors d’une journée inoubliable en compagnie des pères Henri de Lubac (1896-1991), Jean Daniélou (1905-1974) et Hans Urs von Balthasar (1905-1988). À cette époque, le jeune scholastique était sur le départ pour l’Inde où, deux ans plus tard, le rejoignit son aîné dans le sacerdoce. Au fil des séjours estivaux de Jules Monchanin à Shembaganur, où le jésuite étudiait la philosophie, leur amitié s’affermit et elle se poursuivit à travers une correspondance régulière, lorsque Pierre Ceyrac partit poursuivre sa formation théologique dans le Nord. En 1950, avec le bénédictin breton Henri Le Saux (1910-1973), l’abbé Monchanin fonda l’ashram du Shantivanam et c’est là que Pierre Ceyrac eut le bonheur de le retrouver après plusieurs années de séparation : « Je le revois encore, menu, grêle, souriant, tel que je le voyais et l’écoutais dans son ashram de Tannirpalli, sur les rives de la Kaveri, cette belle rivière qui coule majestueuse et paisible entre les bancs de sable dorés et les cocotiers verts. »1

Les souvenirs de Pierre Ceyrac sont précieux car ils nous rendent présent l’ermite chrétien dans les dernières années de sa vie. Ils sont d’autant plus frappants qu’ils rejoignent ceux d’autres visiteurs de l’époque :

Le père venait ouvrir très vite, silhouette si frêle dans son ample robe de coton ocre. Son accueil était dans la lumière de son regard et de son sourire, dans une joie toute simple et toute surnaturelle, dans une bonté proche et dans son attention à la fois aiguë et compréhensive. […] Il savait se faire le serviteur de tous ceux qui venaient au Shantivanam, au bois de la paix : enfants attirés par les fruits du jardin, villageois en quête de conseils et de secours, quelques amis ou étrangers venus de loin. En ces conversations, accompagnées de force gestes et de longues explications, il répondait avec une inaltérable patience, prenant insensiblement le ton, le sourire et certaines attitudes des gens du pays, sachant parfois parler avec une fermeté toujours empreinte de bonté. Il arrivait qu’un hindou vînt lui demander sa bénédiction : il lui posait les deux mains sur la tête dans un geste si pénétré de respect et de prière que l’on savait qu’il appelait alors la descente de