« Qui nous fera voir le bonheur ? » On connaît l'interrogation du psaume 4 et, bien des siècles après, les publications continuent de fleurir sur ce thème. À travers une approche philosophique qui n'entre pas volontairement dans le champ religieux, Laurence Devillairs s'élève avec vivacité contre une perception contemporaine qui voit celui-ci comme une succession de petits moments, de « clichés », d'« instantanés » nous incitant à vivre toujours mieux. C'est au fond « le bonheur, si je veux », une « diététique du minuscule » faite de « menus plaisirs » ou « petits bonheurs », vantés par les manuels de psychologie positive ou ces théories du flow qui invitent à se couler dans le « flux de la vie ». Cette attitude n'est-elle pas la « nouvelle dévotion » d'individus déçus des idéologies et du bonheur public, voire des religions ? Or, nous voyons bien, remarque l'auteur, que les questions existentielles, notre blessure originelle ou notre peur de la mort ne peuvent se dissoudre dans la simple jouissance du « moment présent », pour reprendre la formule d'Eckhart Tolle. Le bonheur ne se réduit pas au bien-être, c'est avant tout une promesse. « Notre destination n'est pas l'ici et le maintenant. Nous sommes des êtres de l'ailleurs, taraudés par un désir d'être heureux plus grand que nos contentements présents, animés d'une vocation au bonheur qui fait regarder plus loin, plus haut. » Invitant à relire Pascal et Descartes, Laurence Devillairs souligne qu'il existe une saine inquiétude, une intranquillité salutaire qui nous met en mouvement. Écrit avec vivacité, ce diagnostic de nos actuelles mentalités se double de ce rappel de sagesse bienvenu.

Tout à fait confessionnelle, en revanche, est la méditation de Jacques Philippe sur ce même thème du bonheur. En soi, qu'un prêtre de la Communauté des Béatitudes, justement, médite sur le Sermon sur la montagne n'a a priori rien d'étonnant. Après des ouvrages très bien accueillis comme Recherche la paix et poursuis-la (1991) et La liberté intérieure (2002), l'auteur questionne un paradoxe : pourquoi les Béatitudes proposent-elles une voie si contradictoire avec l'idée que nous nous faisons d'une vie heureuse ? L'auteur cerne très fortement son propos sur le « Bienheureux ceux qui ont une âme de pauvre », car notre monde est très marqué, selon lui, par l'accumulation des richesses, mentalité qui n'est pas sans marquer aussi notre manière de concevoir la vie spirituelle. Et si notre pauvreté spirituelle n'était pas « essentiellement une forme de liberté, la liberté de tout recevoir gratuitement et de tout donner gratuitement » ? N'est-ce pas une manière de prendre aussi de la distance par rapport à une société qui veut tout planifier et tout contrôler ? À travers une réflexion largement nourrie des deux Testaments et de la tradition spirituelle, insistant sur la dimension trinitaire, Jacques Philippe relit tour à tour chacune des huit béatitudes. À propos de la deuxième, « Heureux ceux qui pleurent… », il insiste sur le don des larmes, mais aussi sur « l'importance de la vocation chrétienne comme ministère de consolation », dans un monde où il y a tant de souffrances cachées. La douceur, dont parle la troisième, nous invite à gérer notre orgueil et notre colère en sachant ne pas être trop dur envers nous-mêmes : « La douceur envers soi est un pas nécessaire vers la douceur envers les autres. » Pour la quatrième qui évoque la soif de justice, il ne s'agit pas tant d'une revendication sociale que d'une capacité à discerner notre désir le plus profond, notre aspiration à ce que Dieu soit aimé davantage. La cinquième béatitude souligne combien la miséricorde nous conduit à dépasser nos propres peurs, à ne pas nous sentir supérieurs aux autres. Purification du cœur et recherche de la paix caractérisent les deux suivantes, pour ne pas être trop perméables aux divisions intérieures. Quant à la dernière, qui évoque la persécution à cause du Christ, elle ne conduit pas nécessairement à « voir le démon partout (ce serait trop d'honneur) », mais à rester vigilant et à ne pas oublier la nécessité du combat spirituel. Autant de chemins possibles pour cette ouverture au bonheur.

 

Un bonheur sans mesure - Petite philosophie de la vie en majuscule - de Laurence Devillairs - Albin Michel, 2017, 144 p., 15 €. 

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Le bonheur ou on ne l'attend pas - Méditations sur les Béatitudes - de Jacques Philippe - Éditions des Béatitudes, 2017, 192 p., 13,50 €.