L’indifférence religieuse peut être considérée comme le stade ultime du processus de sécularisation qui marque l'évolution des sociétés occidentales. Ultime, non parce qu'il s'agirait de la fin avérée de la religion, mais parce qu'elle apparaîtrait comme l'implication la plus aboutie des traits qui donnent son identité profonde à la sécularité contemporaine : désinstitutionnalisation et pluralisation d'une part, subjectivisme et relativisme d'autre part.
La croyance peut se découpler de la pratique, et le sentiment religieux se vivre hors de toute obligation ; l'absence de participation cultuelle peut s'accompagner de la conviction d'être pourtant un pratiquant : c'est l'autorité de l'institution et sa légitimité à prescrire ou interdire qui sont tranquillement ignorées. On est dehors sur un point et dedans sur un autre On est finalement ni dedans ni dehors, tant la problématique de l'appartenance religieuse est délaissée par le plus grand nombre au profit d'une logique de l'identité, ou plus exactement de l'identification, partielle et révisable. La désinstitutionnalisation du sentiment religieux s'accompagne évidemment de la pluralisation des identités, puisqu'aucun critère objectif ne permet de cerner de l'extérieur les contours du groupe et que la référence religieuse ne fait plus corps : près des trois quarts des Français estiment que c'est à chacun de définir sa religion indépendamment des Églises.
La croyance ne se donne pas le plus souvent comme appropriation d'un système de solidarité, mais comme une expérience personnelle de sens, et elle se légitime moins d'un consensus, d'une tradition ou d'une autorité, que d'une expérience à laquelle le sujet peut prétendre avoir ou avoir eu accès. Cette conviction proprement moderne que c'est au sujet individuel de décider en son for interne du vrai, du bien et du juste hors de toute dictée institutionnelle, et même de toute inscription dans une tradition,