Parler de son expérience de Dieu, est-ce un pari impossible ? À en croire la multitude des croyants et des croyantes, il semblerait bien que l’exercice soit difficile… Et, pourtant, sans prétention, sans faire la leçon, Alexis Jenni, qui dit avoir « le goût de Dieu », ose une parole délicate et tout en finesse sur une réalité qu’il n’a su nommer que tardivement. Bien qu’ayant dans son enfance été confronté à une foi qui ne se disait pas et qui s’en trouvait opaque et pesante, il prend aujourd’hui le risque de mettre son histoire intérieure à l’épreuve du langage. Poussé par la volonté d’exprimer une foi « qui ne soit pas lourde ni obscure, mais forme de joie ; qui ne soit pas répétition des textes, application des règles, mais floraison d’images autour d’une source insaisissable ». Il y parvient avec le talent d’un écrivain qui sait faire voir l’invisible. Ainsi, vat- il chercher non pas à livrer un savoir mais à faire sentir ces instants fugaces où la vie s’ouvre sur une présence. La révélation de ce monde intérieur, qui nous habite tous, se fait par et dans le corps, un corps animé de l’esprit. Nos cinq sens sont les points de passage. « On ne croit pas parce que l’on sait », dit-il, « l’acte de croire est une sensibilité extrême de tous les sens, et du sens des sens […], le sens de la présence. »
Et voilà que le lecteur est transporté dans un paysage intime, livré cependant avec pudeur. Déclinant chapitre après chapitre le goût, la vue, l’ouïe, le toucher et l’odorat auxquels il ajoute le « sens de la parole », l’auteur parvient véritablement à donner à voir et à entendre ce qui pourtant ne se voit ni ne s’entend. A. Jenni est un homme proprement attentif qui sait se mettre à l’écoute. Il décrypte ses expériences sensorielles et les met en mots. Tout d’un coup, la pénombre fraîche et muette d’une église visitée par un chaud mois d’été se remplit d’une présence ; ou bien, c’est un parfum d’enfance subitement retrouvé qui élargit l’espace de la vie... Autant de sensations vécues et comprises se révélant porteuses de sens. Incidemment aussi, l’auteur propose une foi qui s’incarne, s’enracine dans l’expérience, se dit, se vit, se pense et nous libère. Une belle méditation qui est aussi respiration.
 
Marie-Caroline Bustarret