« Écoute Israël : le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un. » Ainsi parle le Deutéronome et ainsi commencent les prières juives. Cette forte injonction a pris tout son sens pendant le confinement, alors que la vie s'est tue du jour au lendemain, et que tous les êtres humains – quels que soient leur race, leur religion, leur lieu d'habitation, leur statut social – ont été contraints à l'arrêt, à un grand silence forcé. Arrêtez vos activités, arrêtez votre fébrilité et écoutez. Dans ce « stop » subi, même si le flot de l'activité professionnelle, par le télétravail, a réussi, pour beaucoup, à trouver immédiatement un nouveau lit à sa frénésie, une nouvelle façon de prier a pu naître, mue par un désir profond que la première place soit redonnée au Seigneur dans ce temps de désert relationnel. Et donner la première place au Seigneur, ce fut de l'écouter au plus profond de notre cœur, le soir, avec mes deux petites dernières de huit et dix ans, après une journée effrénée de télétravail. Shema Israël. Trois femmes, une mère et ses deux filles, comme un petit peuple de Dieu, la mère au pied du lit de ses fillettes, toutes deux dans leur lit, attentives à la Parole s'apprêtant à être lue dans la pénombre.
Le désir a été d'ouvrir la Bible à la première page, de revenir aux sources de notre enracinement chrétien en lisant la Genèse. Écouter et voir le Seigneur créer le monde et s'émerveiller de la beauté de son œuvre. La nature, en ce printemps 2020, reprenait vie, sans que nous ne puissions la contraindre, l'abîmer. Que cela était bon et beau !
Est venue la lecture du Déluge, moment si étonnant de la colère de Dieu, comme un retournement après son émerveillement premier. Nous sommes toutes les trois dans l'Arche, avec Noé et sa famille, toutes les trois ballottées, en suspens, dans ce contexte de confinement où, alors que la nature reprend ses droits, nous ne savons pas quel va être l'avenir de l'homme. Nous sommes soudain si proches de cette expérience spirituelle vécue avant nous : celle de l'attente et du doute. Le meilleur est-il à venir ? Dieu va-t-il agir ? « Qui nous fera voir le salut ? » Va-t-on trouver un vaccin ? « Espère Israël, espère dans le Seigneur, maintenant et à jamais. » Garde confiance dans cette Arche qu'est le confinement, et dont tu ne sais pas encore sur quel nouveau paysage, quelle nouvelle façon de vivre, elle va ouvrir sa porte. Une expérience de tombeau fermé le soir du Vendredi saint. La Parole, pourtant si ancestrale, me rejoint dans mon présent : l'expérience de Dieu comme un présent permanent, d'une génération à l'autre.
Nous suivons maintenant Abraham, à qui Dieu promet une descendance nombreuse. Or l'évidence s'impose : l'enfant ne vient pas. Abraham continue pourtant d'écouter le Seigneur, de se laisser guider, déplacer physiquement et intérieurement. Je découvre que ce qui fait vivre Abraham, que ce qui le meut, c'est sa relation quotidienne à Dieu, sa familiarité, son alliance avec le Seigneur.
À moi aussi, grâce à la Parole, Dieu offre une relation d'intimité et se donne comme un pain quotidien : la Parole est mon pain quotidien, comme la manne au désert. Elle est l'élément tangible de ma relation à Dieu, de mon intimité avec Lui, qu'il ne tient qu'à moi d'investir pleinement. Ces temps de prière tissent ma relation au Seigneur, mon histoire personnelle avec Lui, comme une « fille unique ». Je prends conscience que, aussi bien dans la prière du soir avec mes filles que dans ma prière personnelle du matin (dont j'ai gardé le rituel en ce temps de confinement), ma relation au Seigneur a gagné en autonomie.
Ainsi, le matin, selon mon humeur, selon le besoin que je ressens à l'aube de la nouvelle journée qui s'ouvre, je vais rechercher la Parole qui va me nourrir : celle qui va m'apporter force, courage et consolation quand je porte une inquiétude professionnelle (« Marche en ma présence, sois forte et prends courage, garde mon espérance, je suis le Dieu vivant »), celle qui va me redonner confiance quand je doute de ma valeur (« Tu as du prix à mes yeux et je t'aime »), celle qui va me rappeler les moments forts vécus avec le Seigneur quand je doute de sa présence (« Notre cœur n'était-il pas tout brûlant quand il nous commentait les Écritures en chemin ? »), celle qui va mettre à distance ma colère quand celle-ci me submerge (« Seigneur, passe mes ennemis au fil de l'épée »), celle, enfin, qui va me faire savourer la paix revenue et m'inviter à faire mémoire d'une expérience salvatrice après une tempête intérieure (« Il réclame ta vie à la fosse », « Dieu ne peut souffrir de voir mourir son amie », « Je suis le Dieu qui t'a fait sortir d'Égypte »).
C'est là le miracle, sous mes yeux, de la parole de Dieu : par sa Parole, Dieu me rejoint, Dieu veut me rejoindre, dans tout ce qui habite mon cœur, pour que j'en prenne conscience, que je nomme les mouvements en moi, que je puisse les trier, les questionner et en parler au Seigneur « comme un ami parle à un ami », dans un colloque à cœur ouvert.
Si la liturgie, avec ses messes quotidiennes et dominicales, nous propose un chemin balisé au fil des saisons, je prends conscience que la Parole m'est donnée comme une boîte à outils que le Seigneur m'offre à tout instant pour dialoguer avec Lui. Je n'ai qu'à l'ouvrir pour aller demander au Seigneur la grâce nécessaire pour aujourd'hui. Cette possibilité de dialogue continu avec le Seigneur, qui ne dépend que de ma volonté et de ma fidélité, l'absence de messe ne peut me la retirer. C'est pour moi la bonne nouvelle du confinement. Dieu m'appelle dans l'intimité de ma chambre, je n'ai qu'à lui prêter une oreille attentive : Shema Israël.