Le sermon est un « plat » à consommer frais et qui, en général, vieillit mal. Avec ceux des Pères grecs, d'Augustin d'Hippone ou de Bernard de Clairvaux, ceux de John Henry Newman, canonisé le 13 octobre 2019, constituent une exception qui confirme la règle et peuvent encore être médités avec profit. Avec cette publication, l'ensemble des sermons publiés de son vivant est désormais disponible en français, dix volumes de sermons anglicans et deux volumes de sermons catholiques, ici réunis sous une même couverture (le terme « sermon » doit être pris au sens large : Newman appelle « discours » les premiers et « sermons » les seconds, mais c'est le même genre littéraire). Il faut remercier Keith Beaumont, qui a coordonné leur traduction et assuré leur édition, d'y avoir ajouté de substantielles introductions qui permettent de mieux se laisser toucher par eux : ils n'ont pas d'autre but.

La première série, La puissance de la grâce, est prêchée par Newman en 1849 à Birmingham alors qu'il vient de fonder, trois ans après sa conversion, le premier Oratoire anglais. Son public comprend des anglicans, des « non conformistes » de diverses obédiences et des sceptiques, curieux ou hostiles, autant que des catholiques venus pour nourrir leur foi. Mais, loin d'édulcorer son discours pour capter la bienveillance du plus grand nombre, Newman annonce dès son premier sermon que l'objectif de la venue des oratoriens à Birmingham n'est rien de moins que le salut éternel de ceux à qui ils s'adressent.

Il critique vertement ceux qui sont du « monde », avec ses préoccupations d'efficacité et de réussite et qui, quand il leur arrive de se poser des questions religieuses, se rassurent à bon compte en faisant de Dieu un « distributeur automatique de salut pour tous » (pour utiliser une image de notre temps qui résume bien son propos). Il oppose l'Évangile à cette façon d'être et de penser, dont lui et ses confrères oratoriens sont les ministres.

Ce fil directeur court à travers les dix-huit sermons de cette série. Newman revient plus d'une fois avec une ironie décapante sur ceux qui s'éloignent de Dieu et du monde invisible de la foi pour les mirages du monde matériel et se construisent un petit univers individuel dont chacun croit être le centre, alors qu'il est manipulé par l'argent, les médias, l'obsession de la notoriété. Ce constat en fait un des prophètes du rapetissement des horizons de sens chez l'homme sans Dieu. Il lui oppose ce que Keith Beaumont appelle à juste titre une « catéchèse » de la foi catholique, à la fois dogmatique et christocentrique, et qui ne cèle rien des exigences de l'Évangile et insiste sur le rôle de la grâce, sa puissance, et la subtile alchimie quelle joue avec notre liberté et responsabilité car le chemin de Dieu passe par notre humanité, quand celle-ci se laisse travailler et transformer par la grâce.

La seconde série, Le second printemps, est plus éclectique et s'étale de 1850 à 1873 : sermons prêchés pour l'Université catholique d'Irlande, à l'occasion de la restauration de la hiérarchie catholique, ou pour diverses circonstances. On y retrouve nombre de thèmes de la première série, et quelques accents triomphalistes qui célèbrent la renaissance de l'Église catholique en Angleterre, son « second printemps ». Les sermons universitaires reprennent la problématique de ceux prêchés par Newman anglican : foi et raison, religion et sciences. Il y récuse le préjugé selon lequel « pour être religieux, il faut être ignorant ; et, pour être intellectuel, il faut être incroyant » : il est lui-même l'exemple vivant du contraire. Plus encore, il fonde l'union féconde de la science et de la foi sur la liberté de chacune en son ordre propre.

La pastorale de Newman, qui inclut la peur et la conscience du péché non moins que l'amour et la confiance, apparaîtra d'un autre âge à beaucoup, y compris au sein du petit reste qui fréquente encore les églises, mais la publication de ces sermons à l'heure de sa canonisation peut être pour chacun l'occasion d'un examen de conscience.