« Serait-ce moi ? » (Mt 26, 14-25)

L’Evangile de ce jour nous met devant la trahison de Judas. Mais il souligne particulièrement  la tristesse et la réaction étonnée des disciples « serait-ce moi, Seigneur ? », et plus encore,  la manière étonnante dont Jésus en désigne l’auteur « celui qui s’est servi en même temps que moi ».  Et par ce geste surprenant et très simple, tendre le plat, donner la bouchée,  nous pouvons rejoindre  Jésus très concrètement dans sa Passion aujourd’hui.

 

Dans l’évangile de Mathieu, l’annonce de la trahison  ne provoque pas l’indignation des disciples mais une grande tristesse qui les remet chacun personnellement en question. La fragilité humaine rend tout baptisé capable de se reconnaitre en Judas, et de trahir le Christ dans sa vie personnelle ou dans celle de l’Eglise. Et nous le savons bien, aujourd’hui comme hier, trahisons, scandales, perversions de toutes sortes travestissent douloureusement le visage du Christ dans notre monde et par nos soins à tous.

 

Mais si chacun est alors invité à s’examiner, « serait-ce moi ?», quel geste inattendu et stimulant que celui de Jésus qui donne le pain à chacun !  Il offre ainsi son corps à tous sans exception, il donne ainsi à chacun  la nourriture qui nous unit à lui et nous rend la force d’aimer et de construire aujourd’hui son corps de chair et d’espérance dans le monde. Comme si la résurrection pointait déjà là, nous appelant à suivre Jésus au plus près dans ce don qu’il fait de lui-même pour la vie de tous.

 

On est loin des accusations,  humiliations, dissensions légitimement engendrées par les trahisons, les abus et scandales qui bouleversent l’Eglise et nos histoires et doivent être punis. Mais le Christ offre son corps à tous pour régénérer le nôtre, et il nous invite d’autant plus à chercher et mettre en œuvre  la vérité de son amour, dans notre travail, nos relations, notre prière, dans tout ce que nous sommes.

Où et comment en ce jour puis-je le faire courageusement et joyeusement ?

Voici ce qu’écrit saint Pierre Favre dans son Mémorial à propos de la trahison de Judas en 1543 :

Il me vint à l’esprit une véritable admiration pour la bonté de Jésus-Christ, lui qui a poussé la libéralité jusqu’à se communiquer tout entier, et à tous les hommes, aux bons qui lui en savent gré, mais aussi aux mauvais, au point de donner même au traître pendant la Cène. C’était pour moi une leçon : si le Christ se communiquait à moi chaque jour lorsque je célébrais, s’il était prêt à se communiquer de toutes les manières, dans les prières et dans les œuvres faites pour lui, je devais moi-aussi me communiquer et m’abandonner à lui de toutes les façons, et pas seulement à lui, mais pour lui à tous, bons ou mauvais, en conversant, en prêchant et en faisant le bien, en travaillant et en peinant pour eux, en m’ouvrant tout entier à tous pour les consoler dans toute la mesure où je pourrais les aider, et en distribuant à tous tout ce que je suis et tout ce que j’ai. Fiat ! Fiat !