« Là où je vais, vous ne pouvez me suivre ». (Jn 13, 21-38)

Aimer jusqu’à l’extrême ?

Comme Pierre, nous aimerions suivre Jésus jusqu’au bout dans sa Passion. Peut-être même  nous sentons-nous prêts, en des occasions exceptionnelles, à donner notre vie pour lui. Mais comme Pierre nous entendons la voix du Seigneur dans l’Evangile de ce jour : « là où je vais, vous ne pouvez pas me suivre ». D’une part, parce que le désir le plus pur n’empêche pas le reniement, comme Jésus le fait remarquer à Pierre, nous ne maîtrisons pas les circonstances de notre suite de Jésus-Christ. Mais d’autre part, suivre le Christ qui aime ses disciples « jusqu’à l’extrême » ne nous appartient pas plus qu’à Jésus lui-même. C’est la volonté et le dessein du Père qui en décident ultimement comme l’expriment les versets sur la glorification du Fils de l’homme et de Dieu. C’est une grâce, un don, et non un acte de loyauté héroïque, qui serait encore une manière de refuser que Jésus et son œuvre de salut soient soumis à la mort.

Jésus seul

L’épisode avec Judas le montre et en donne le sens. « Bouleversé en son esprit » d’apprendre qu’un de ses disciples l’a trahi, Jésus, cependant,  poursuit son œuvre et son geste. Il donne à Judas la bouchée préparée et l’encourage dans sa tâche, intégrant ainsi l’évènement à l’histoire et à la manifestation du salut de Dieu. Il ne cède pas au découragement, il n’entame pas non plus un bras de fer avec ses opposants, pas plus qu’il ne chasse et condamne le traître : « ce que tu as à faire, fais-le vite ». Ainsi consent-il à la réalité des circonstances, il meurt intérieurement à son action, il meurt à lui-même, remettant au Père toute sa vie et son œuvre, sa mission, comme il le fera sur la croix.

Retournement et changement de sens

Alors s’opère un retournement décisif. Le salut de Dieu n’est pas le fruit de la violence, fût-elle celle de Dieu, mais celui de son amour et de son humilité, de la non-violence et du pardon donné gratuitement, au cœur des circonstances. C’est « la divinité qui se cache » ici dans la passion du Christ, comme St Ignace invite à le contempler dans les Exercices spirituels, c’est la manière dont le Père est présent dans le Fils et le glorifie et dont, du même coup, le Fils glorifie le Père en cet instant de remise totale de soi dans la confiance. Seul Jésus, le Fils fait homme, est appelé à vivre cela pour le salut et le pardon de tous, pourvu que chacun, à l’image de Pierre, reconnaisse son incapacité à suivre et aimer le Christ en vérité.

A mon tour, quel désir d’être plus vivant, quelle part trop pleine de moi-même puis-je offrir aujourd’hui au Seigneur, pour accueillir l’amour et le pardon de celui qui nous sauve de nos reniements, nos trahisons, nos manques de foi ?