Saint François de Sales, c’est bien connu, ne s’est occupé que d’introduire à la « dévotion ». Il était trop naturellement bon et équilibré, trop « humaniste » pour s’intéresser aux vertiges de la vie mystique… Hélène Michon fournit aujourd’hui la preuve du contraire. Elle est la première à s’attaquer résolument au Traité de l’amour de Dieu, référence universelle des grammairiens de la vie spirituelle, mais jamais sérieusement étudié, et pour cause : la bonhomie du style, le chatoiement des images et des historiettes dissimulent une pensée difficile, celle de l’amour même.
Sous couleur de raconter une « histoire », celle de l’amour divin, François de Sales tente, en réalité, de dresser une authentique somme de « théologie mystique », comme l’avaient fait par exemple Bernard, Bonaventure, Jean de la Croix (que François n’a pas pu connaître). Comment l’amour de Dieu vient-il aux hommes ? Comment et jusqu’où peuvent-ils en vivre ?
« Nouvelle » est en effet la mystique dont François se fait le chantre. Sa synthèse s’efforce de concilier les traditions dont il hérite avec le souci d’élucidation « psychologique » qui a commencé à se faire jour, au seuil du siècle des moralistes, qui fut aussi celui, en France, de « l’invasion mystique » (Bremond). Celui qui écrit n’est pas seulement fin théologien, c’est un pasteur exceptionnellement doué dans l’art de comprendre et de faire comprendre.
Suivre Hélène Michon dans l’analyse du texte salésien, c’est découvrir, par exemple, les débats qui opposaient bonaventuriens et thomistes dans leur compréhension de la vie spirituelle ; admirer la finesse avec laquelle François s’efforce de dépasser les antagonismes entre théologiens, mais aussi entre théologiens et mystiques. La clarté d’esprit et le talent pédagogique de l’auteur rendent abordable une matière souvent aride ou subtile.
On pourrait lui reprocher de mettre trop de clarté, justement, et de clarté thomiste, là où le texte salésien manifeste un tremblé, voire un trouble révélateur de la « crise de conscience » qui travaillait déjà la pensée européenne. Comparaison n’est pas raison : le jeu des images, chez François de Sales, ne suffit pas à résoudre les apories auxquelles se heurtent les représentations de la psychè. Mais ce sont là querelles de spécialistes. Le mérite de cet ouvrage est d’oser ouvrir un chantier difficile, dégager des enjeux et fournir les repères d’une solide érudition.


N.B. Signalons l’édition de l’Introduction à la vie dévote « mise en français contemporain », éd. D.-M. Proton, Cerf, coll. « Trésors du christianisme », 2007, 544 p., 25 euros.