Pour aider quelqu'un, faut-il avoir fait la même expérience que lui ? Depuis que je pense à cet article, j'ai souvent posé la question. Si l'interlocuteur a souvent hésité sur la réponse, jamais il n'est demeuré indifférent. La question touche au plus vif les liens que nous avons les uns avec les autres, et avec tous les hommes. D'autant qu'elle porte, non sur un banal secours, mais sur une aide qui se veut fraternelle, c'est-à-dire où l'autre est reconnu comme un homme et où notre foi en Jésus n'est pas étrangère ; l'aide, matérielle ou spirituelle, de quelque ordre qu'elle soit, engage le tout de notre être. Sa logique entraîne dans l'engrenage de l'amour.

Assez et pas trop

C'est évident ! Pour aider quelqu'un, il faut lui être semblable assez et pas trop. Double danger de n'avoir entre soi aucun point de référence, si bien que la rencontre est impossible, ou d'en avoir tant qu'il n'y a pas reconnaissance de l'un par l'autre, mais découverte de soi dans l'autre.

Cette similitude porte d'abord sur l'expérience vécue. Nous acceptons facilement l'aide de qui semble être passé par les mêmes épreuves que nous. Aussi qui veut aider quelqu'un essaie de le rejoindre dans sa vie même. De tout temps, les Apôtres du Christ ont voulu partager la condition de ceux qu'ils évangélisaient, à l'exemple du Verbe fait chair, prenant notre nature pour nous partager la sienne. Aux conditions de vie, ajoutons la similitude des réactions, l'accord des sensibilités, les mêmes jugements portés sur les êtres et sur les choses, la communauté de travail, tout ce qui fait dire aux personnes en présence qu'elles se comprennent.

Cette ressemblance devient de nos jours difficile. L'élargissement de la communauté humaine met au contact des êtres ayant des conditions de vie éloignées, pour ne pas dire opposées. Autrefois, les préoccupations d'un homme ne dépassaient pas les bornes d'une famille, d'un milieu, d'un pays. Aujourd'hui, tout homme est devenu concitoyen de tous et qui veut porter une aide à l'homme doit chercher un langage universel. Surtout l'aidé lui-même est devenu exigeant et soupçonneux. Il réclame de qui vient à son secours la vérité, le désintéressement, la justice. Il repousse une charité qui ne serait qu'apitoiement ou protection. Intellectuel, ouvrier, étranger, responsable, partisan de tout ordre, chacun est interrogé par chacun. La relation d'aide où l'amour se veut tour à tour donné, reçu, partagé, fait expérimenter l'inconfort des relations humaines, telles que notre monde les fait vivre. Demeurer à l'écart nous fait taxer d'égoïsme. Ouvrir sa porte à l'autre, c'est voir démasquer impitoyablement les faux-fuyants de nos bonnes œuvres.

Le partage de l'expérience de l'autre est-il