On peut être tenté de croire qu'il ne doit pas être si difficile de se former : une bonne documentation, du flair, un peu de bon sens, un certain jugement pratique, quelques connaissances en psychologie et, évidemment, une bonne dose de piété. Ceux qui pensent ainsi vont vite en besogne : à l'usage, la chose est plus délicate. Au moins, l'énumération des qualités qu'ils demandent met en lumière les éléments qui entrent en jeu dans pareille formation. Quelques-uns sont d'ordre naturel : la science et l'expérience. D'autres appartiennent à l'ordre surnaturel : la valeur spirituelle.

Ce sont ces éléments que nous allons examiner, en essayant de définir le dosage qu'il convient de garder dans leur acquisition. De bonnes études ne suffisent pas : le plus grand savant du monde peut n'être qu'un piètre pédagogue. La connaissance pratique des hommes, si nous nous limitons à elle, nous ferait demeurer sur un plan naturel : elle ne doit aider à se libérer que pour se livrer plus entièrement à l'action de Dieu. Il faut donc tout ensemble former un homme instruit, expérimenté et religieux, sans jamais perdre de vue que c'est dans la mesure où chacun de ces éléments est assumé par l'élément supérieur que l'on devient un bon directeur.

La science

Que la science soit nécessaire, saint Jean de la Croix et sainte Thérèse le rappellent en mots terribles aux directeurs trop grossiers dont l'ignorance des voies de Dieu n'a d'égale que la prétention de tout régenter : « Ces gens-là ne savent pas ce qu'est l'esprit. » Plus que les résistances du dirigé, plus que le démon lui-même, ils constituent, au dire de saint Jean de la Croix, l'obstacle majeur au progrès spirituel. On citerait en foule des exemples de directeurs bien intentionnés – prêtres ou non-prêtres – dont l'ignorance, prise parfois par eux pour de la simplicité évangélique, conduit ceux qui les suivent à l'enlisement, quand ce n'est pas aux pires déboires, à l'illusion et à la névrose. Un vrai directeur ne doit cesser de se cultiver. Il faut renvoyer dos à dos ceux qui prétendent qu'il suffit d'un peu de psychologie et de bon sens, et ceux qui prétendent qu'il suffit de beaucoup d'amour de Dieu. C'est mépriser l'ordre de Dieu que de ne pas régler par ses forces naturelles ce qui doit d'abord être réglé par elles : « Dieu, dit saint Jean de la Croix1, veut que l'on se serve toujours de la raison et du jugement autant qu'on pourra… et il reprendra aussi, pour leur compte, les élus ses amis » de leur paresse à en user.

Nous n'affirmons pas que le directeur doit posséder toutes sortes de connaissances théologiques, psychologiques et spirituelles, que pour dire aussitôt la manière dont il doit les posséder : car c'est la manière du savoir plutôt que sa possession qui rend apte à aider les autres. Sans doute, le directeur doit lire les auteurs spirituels, mais pas de la même manière que celui qui en fait une étude exhaustive. Son but n'est pas de faire un cours de spiritualité ou de définir la pensée d'un auteur sur un point de doctrine. Ce qu'il cherche, c'est une culture qui lui soit une ouverture et une excitation. Plus que tout, il lui sera utile d'avoir lu quelques grands auteurs, d'en avoir relevé les passages essentiels et d'y revenir sans cesse. Facilement, la littérature spirituelle prend la forme d'apophtegmes : ceux des Pères du désert, les Centuries de Maxime le Confesseur ou les Cent chapitres de Diadoque de Photicé, les Propos de lumière et d'amour de saint Jean de la Croix, pour ne rien dire des Annotations ou des Règles de discernement de