Il serait vain mais surtout illusoire de tenter de dresser ne serait-ce qu’une cartographie de la musique que peuvent écouter les plus jeunes. Bien sûr, il y a des phénomènes de mode où une chanson vient saturer non seulement les radios mais aussi tous les baladeurs, comme il y a deux ans Mika. Avec Relax, Take it easy, l’été avait trouvé sa musique de l’Île de Ré au Cap d’Agde.
Mais chacun, dans ce qu’il écoute, recèle le mystère de ses rencontres, les marques étonnantes d’une histoire, les aires culturelles de son réseau relationnel. Un élève de CM2 de 2009, au détour d’une conversation, peut, avec le sérieux de cet âge, parler de ce que représentent pour lui les chansons de l’ex-berlinoise Nina Hagen. Il évoque African Reggae créé en 1979, parle de son premier album solo en anglais de 1982 NunSexMonkRock, allant jusqu’à dire son trouble devant ce mélange de punk, de funk et d’opéra… tandis que la maman du bambin charmeur regarde d’un air gêné les motifs du tapis pourtant largement diffusés par les grands magasins d’ameublement. Ben Harper enflamma les lycéens de la Méditerranée des années 90, alors que ceux des côtes normandes ou bretonnes semblèrent rester majoritairement insensibles au son de cette guitare reposant à plat sur les genoux du chanteur, à ce melting-pot reggae allié à une voix si particulière. Trop reggae, pas assez rock… Au sud, dans les concerts de Terminales, son Power of the Gospel ne cessait d’alterner avec l’Hallelujah de Jeff Buckley.
Plutôt donc que de sonder les grandes tendances de la « musique jeune », il est préférable d’approcher ce que fait vivre, grandir et déplacer chez un adolescent la relation avec la musique qu’il écoute. En quoi ce lieu nous dit quelque chose d’une expérience intérieure, des paysages de son voyage vers l’âge adulte.
« Paroles, paroles, paroles »
L’engouement pour le slam, la virulence du rap, sont venus redéployer la force des anciennes chansons à texte. Ces chanteurs mettent des mots pour dire ce qui est à clamer au monde. De plus, les haut-parleurs poussés à fond des téléphones portables ou des baladeurs se chargent maintenant de le gueuler à la face du monde, ou du moins aux oreilles d’une rame de métro ou d’un bus. Ces mots, sans avoir à les proférer soi-même, giclent impunément et scandent aux adultes et aux petits tâcherons de la consommation le mépris dans lequel ils sont tenus par ceux qui incarnent leur jeunesse révolue. Ces objets que leur consommation a tant développés proclament et vocifèrent eux-mêmes, par chanteur interposé, la dramatique dérision de leur monde boulot-dodo.
Y’a comme un goût de haine quand je marche en ville.
Y’a comme un goût de gêne quand je parle de ma vie.
Y’a comme un goût d’aigreur chez les jeunes de l’an 2000...
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