«Je suis heureux que tu sois en vie : peux-tu simplement me dire ces mots-là ? » Voilà ce qu’une femme tutsi que je connais per­sonnellement, rescapée de la tuerie que vous savez, déclarait attendre comme aveu inaugural chez ceux d’en face désireux d’amorcer une ébauche de réconciliation avec elle.
Mais ces balbutiements, si fragiles encore, si précieux déjà — car ils sont capables, on ne sait pas, de mener peut-être jusqu’aux rives du pardon —, peuvent-ils s’imaginer au-delà de relations de personne à personne ? Se pourrait-il qu’ils impliquent de vrais groupes ? Des conflits de société, atroces comme nous en avons tous en tête ? Ou des lendemains de conflits même non génocidaires mais à dimen­sion évidemment politique ?
Ce n’est pas aux philosophes néanmoins que je voudrais ici laisser la parole. Ricoeur suffit à donner le ton : « Les discours sur la réconciliation des peuples restent un voeu pieux… La collectivité n’a pas de conscience morale, (...) les peuples retombent dans le ressassement des vieilles haines, des antiques humiliations » 1. Quant à la pensée chrétienne, elle pourrait de son côté ajouter la perception que les radicales attitudes de pardon visent bien la sphère de la communauté croyante mais non directement celle des relations entre nations : « Vous savez que les chefs des nations dominent sur elles en maîtres (...), il ne doit pas en être ainsi parmi vous » (Mt 20,25).
 

Tant de réconciliations en cours


Ce ne sera pas aux grands conflits entre nations, les deux guerres mondiales par exemple, que nous nous arrêterons, mais aux conflits internes. Je vais nommer les plus désastreux, les plus connus, mais retenons bien leur spécificité : durant