Comme tous les ordres religieux, la Compagnie de Jésus a été confrontée tout au long de son histoire à la question de son autocompréhension, mais elle l'a aussi été en fonction de ses propres idiosyncrasies et des contextes nouveaux auxquels elle a dû se confronter. Si l'autocompréhension de l'Ordre et de sa mission a toujours reposé sur un travail d'historien, cette autocompréhension a elle-même une histoire qui a peut-être quelque chose à dire des enjeux spirituels de la construction de récits collectifs. Dans le cas de la Compagnie de Jésus dont la spiritualité fait une grande place au récit de soi, comment le travail historique s'articule-t-il à un travail spirituel et, surtout, qu'a à nous dire le récit collectif jésuite de la place des récits historiques dans nos propres récits spirituels ?
Le processus d'écriture de l'Histoire joue déjà un rôle essentiel dans les temps de la première Compagnie. Elle accompagne le passage d'une communauté à une société institutionnalisée. Dans le même temps où la Compagnie écrit ses règles, elle se raconte à elle-même. Tant Ignace de Loyola que les premiers compagnons, ainsi que les acteurs de la pérennisation et de l'institutionnalisation de l'Ordre, agissent par le récit. Nadal en particulier, une figure clé de la construction de l'identité jésuite avant et après la mort d'Ignace, insiste dans les conférences qui jalonnent ses voyages et ses visites à travers l'Ordre, sur les « traditions de l'Ordre » qui n'ont pas trouvé leur place dans le texte des Constitutions mais qui expriment l'esprit de l'Ordre tel que le fondateur l'avait pensé et incarné. La transmission d'un récit sur l'origine est un aspect important de sa mission au service de l'identité collective dans les provinces. Dans ce premier temps, la mise en récit de la fondation