Christus   : Est-ce que vous pourriez nous dire ce qu'évoque pour vous cette idée de la perte et de la perte irréparable ? Comment le vivez-vous au regard des révélations sur les fondateurs de l'Arche ? Où en êtes-vous aujourd'hui ?

Michèle Dormal  : De mon côté, du fait que je suis à la retraite, je ressasse peut-être davantage, c'est un travail solitaire que je dois faire. Pour ma part, je ne sais plus où je suis… Parfois, j'ai l'impression que je suis comme un mille-feuille avec beaucoup de couches différentes, une strate prenant alternativement le dessus sur l'autre. Pour moi, les révélations ont commencé avec celles concernant Thomas Philippe, alors que j'étais au début de mon mandat à l'Arche internationale. J'ai été véritablement surprise. La question de savoir si j'aurais pu deviner la situation m'a vraiment travaillée parce qu'on me la posait, et que je me la posais. Je connaissais aussi bien l'agresseur qui m'avait accompagnée que les victimes qui, pour certaines, sont des amies, et je n'ai rien vu. Il me semble que je n'ai rien vu parce que je n'ai jamais imaginé le père Philippe sexué. Je ne crois pas que ce soit de la naïveté, peut-être juste un angle mort chez moi et aussi un angle mort dans sa spiritualité à lui, quelque chose qui n'était pas présent. Maintenant que je sais, je crois que j'aurais pu savoir, que j'avais des éléments pour cela mais je n'ai pas su, malgré tout. C'est d'un très grand inconfort...

Christus  : Vous avez évoqué les révélations concernant Thomas Philippe. Qu'en est-il de Jean Vanier ?

M. D . : Pour ce qui est des révélations concernant Jean Vanier, cela s'est fait de façon progressive. J'ai été mise au courant lors de la réception de la première plainte : cela a été un choc ! Je suis célibataire et je croyais que Jean l'était aussi pour le Royaume, et là, je découvre qu'il a menti. Donc cela m'a atteint personnellement, y compris dans ma vocation au célibat que peu d'entre nous partagent aujourd'hui et dont je croyais qu'elle était portée par notre communauté et par Jean le premier. À l'Arche, nous sommes très peu à vivre cette vocation aujourd'hui. Pour m'expliquer cela, je me disais que c'était peut-être une vocation de fondation… Mais, maintenant, je me dis : « Une vocation de fondation ? Mais de quelle fondation ? » Il y a quelque chose d'une atteinte profonde. En outre, Jean disait ne rien savoir à propos du père Thomas. Quand j'ai appris qu'en fait, il savait ; j'ai compris qu'il nous avait menti à ce sujet aussi : c'est compliqué de découvrir cela. D'autant que j'étais proche de Jean Vanier à la fin de sa vie. Du moins, je le croyais.

Finalement, j'ai l'impression que j'ai été biberonnée à l'eau de rose, qu'il y avait quelque chose qui n'était pas