Écoutons les hommes et les femmes de bonne volonté.

La recrudescence d’actes barbares perpétrés au nom de l’Islam fait entendre le fracas des violents et nous empêche de percevoir la voix ténue des doux. Ceux qui agissent dans le silence de leur cœur pour mettre leur vie et leurs pratiques en accord avec un Dieu grand et bon. Laissons résonner cette voix-là, donnons-lui aussi la place. Que l’autre-étranger devienne l’autre-proche.


 

Christus : La prière est un des cinq piliers de l’islam, une des caractéristiques de la vie d’un musulman, avec la profession de foi, le ramadan, l’aumône et le pèlerinage à La Mecque. Pouvez-vous nous dire ce que représente la prière pour vous ?

Lama Azab :
Prier est une façon d’entrer en relation avec Dieu : Il nous parle dans le Coran et, par la prière, le croyant lui répond. La prière est un moyen de Lui rendre grâce, de Lui dire merci, et non de Lui demander des « choses ». Je parle ici de la prière rituelle (la salat) qui est codifiée, et non de la prière naturelle qui se fait plus spontanément (la du‘a’).

Christus :
Qui est Dieu pour vous : le Créateur, le Père, le Seigneur, l’Autre… ?

L. Azab :
Dieu est tout cela à la fois... Il est « très grand » par rapport à moi : Il est Créateur, mais Il est aussi un ami avec lequel on peut communiquer facilement. Il est en effet très accessible, car Il entend les prières. Pour exprimer cette relation, il existe le mot taqwa en arabe, qui signifie « crainte de Dieu » — à entendre dans un sens positif bien sûr. Cette crainte est destinée à me rendre meilleure. Quant à Lui, Il demeure toujours le même.

Christus :
La prière a-t-elle une influence sur votre vie ou dans vos relations avec les autres ?

L. Azab : Certainement, la prière influe sur la vie. Il est même banal de le dire : prier, cela rend très serein. Peut-être parce que je suis persuadée que Quelqu’un m’entend et me comprend. Ce qui est sûr, c’est que la prière m’aide à contenir mes mauvaises colères : elle est un soutien pour ma vie quotidienne. Cela implique que dans ma relation avec les autres, j’en sors plus apaisée. D’ailleurs, par la prière spontanée surtout, les autres me sont très présents : je suis en quelque sorte en contact avec eux par l’intermédiaire de Dieu à qui je transmets mes sentiments les concernant. Je prie beaucoup pour eux avec des intentions très variées que je répète peut-être d’abord pour moi, pour me les rappeler, car Dieu les connaît avant que je les lui suggère. Ce type de prière revêt sans doute un aspect un peu égoïste. Quant à la prière rituelle, elle me fait grandir dans la persévérance et la patience par la régularité même qu’elle exige. Le fait de savoir que j’ai un devoir à accomplir me dynamise fortement et me confirme dans mes actions quotidiennes. Mais il est également possible de sentir toujours la présence de Dieu, en pensant à Lui au long du jour grâce à de brèves invocations : être toujours avec Lui, comme dans la religion juive, telle est ma joie. Je suis heureuse que l’islam permette aussi cette relation de proximité avec Dieu. En Égypte, on invoque Dieu à la moindre occasion en disant dans un souffle : « ya rabb », ce qui veut dire : « Seigneur ! » Cela finit par rentrer dans notre mentalité.
 

Sur la prière (par Mounir)


La prière est le deuxième pilier de l’Islam qui revêt une importance particulière car, contrairement aux autres piliers, Dieu l’a imposée au Prophète du haut des sept cieux. Je n’ai donc pas le choix, et j’obéis à Dieu en la réalisant correctement . Par elle, je suis en relation directe avec Lui, sans intermédiaire. Le lien qui s’établit avec Lui est celui d’un serviteur avec son Seigneur : je sais qu’Il est là et qu’Il me voit ; je dois donc me soumettre, Le vénérer et L’adorer. La prière me rappelle qu’Il contrôle tous mes actes, qu’Il est présent dans ma vie quotidienne, et donc que je dois demeurer vigilant et m’éloigner de ce qui peut L’offenser. Elle m’apprend aussi à être rigoureux, à organiser mon temps, à respecter les autres autant que moi-même. Elle m’invite à réfléchir sur ma vie terrestre : à aucun moment je n’oublie que je suis un homme de passage et que je dois profiter de cette vie avant de partir.


Christus : Existe-t-il des conditions pour prier ? Quel est par exemple le rôle des ablutions avant les prières rituelles ?

L. Azab :
Une attention toute particulière est en effet requise lorsque l’on veut entrer en prière ; mais il ne s’agit pas de quelque chose de mécanique. Une préparation mentale, même pour les du‘a’, est nécessaire. Elle ne peut pas se faire comme s’il s’agissait d’un acte banal, semblable à n’importe quel autre. La prière demande une certaine concentration, même si cela peut être difficile. À ce sujet, je me demande comment font ces personnes en Égypte, ou même à Paris, pour lire le Coran dans les transports en commun, alors qu’une certaine concentration est exigée. C’est proprement à l’opposé de la paix que l’on trouve dans la salle d’une mosquée par exemple, et qui me bouleverse. Même lorsque l’on prie chez soi, il faut recréer cette atmosphère. D’ailleurs, pour ce qui me concerne, je débranche le téléphone au moment de la prière. Quant aux ablutions rituelles, même si elles ont certainement eu une fonction éducative dans le passé, elles demeurent un excellent moyen pour se préparer à prier. De fait, il est nécessaire de purifier la conscience de ce qui a pu la salir tout au long du jour, afin de se préparer à rencontrer Dieu. Il est vrai que cela prend du temps, surtout si on le fait avant chaque prière.

Sur les ablutions (par Fathia)


L’ablution est une des conditions pour que la prière soit acceptée par Dieu. Elle se traduit principalement par deux choses : d’une part, elle assure une certaine hygiène en m’obligeant à laver certaines parties du corps avant d’effectuer la salat, et d’autre part, elle me purifie spirituellement. Si j’ai commis un péché, l’ablution l’efface et permet de me présenter à Dieu pour prier. Faire les ablutions environ cinq fois par jour me donne le sentiment d’être propre et pure face à Dieu, surtout si je me Le rappelle dans ma vie quotidienne : mon esprit se sent en paix, car Il est proche et protège ceux qui L’invoquent. Je peux ainsi percevoir la grandeur du Miséricordieux qui m’offre toujours la possibilité de revenir à Lui malgré mes péchés. Cependant, il faut noter que si la prière ne mène pas le musulman à se comporter correctement envers les proches et les étrangers, cela signifie qu’elle n’est pas acceptée par Dieu, même s’il fait les ablutions et remplit toutes les conditions que j’ai citées.


Christus :
Avez-vous évolué dans votre expérience de prière ?

L. Azab :
J’ai appris à prier dès l’âge de 7 ans, mais j’ai eu une façon bien personnelle de considérer les cinq piliers de l’islam : jusqu’à 17-18 ans, je ne priais que lorsque je le souhaitais, une fois par jour ou une fois par semaine. J’ai aussi connu de longs moments sans prier, car je ne comprenais pas la nécessité des cinq prières quotidiennes. En particulier vers l’âge de 14 ans, j’ai eu un moment d’arrêt, au moment où je suis retournée en Égypte : c’était l’adolescence, le moment des grands questionnements. L’excès de religieux en Égypte, contrastant avec son absence en France, était invivable. Je n’avais plus de repères et ne savais pas comment réagir. La conséquence a été que, durant un an, j’ai cessé d’être religieuse. Mais de retour en France, j’ai lu le Coran en traduction française, j’ai compris les malentendus qui pouvaient surgir de certains concepts et saisi l’importance de bien connaître l’arabe. Je me suis alors remise en question. Je suis retournée petit à petit à ma foi et à la prière. Maintenant, je peux dire que si ma foi est solide, c’est parce que je connais les deux cultures. J’ai ainsi appris à aimer le christianisme en Égypte, et l’islam en France.
Une difficulté de la religion musulmane est l’importance qu’elle accorde au verbe, à la parole. Le sens de certains mots dans le Coran n’est pas du tout évident, dans la mesure où le vocabulaire utilisé est ancien et fortement symbolique. Un effort est exigé pour comprendre les mots et les phrases dans leurs véritables significations, et pour être conscient de leur portée. En outre, concernant la régularité de la prière rituelle, ce n’est que récemment que j’en ai compris le sens. Maintenant, je prie beaucoup, à la maison ou à la mosquée de Paris, car j’ai la chance de vivre à proximité : l’habitude de m’y rendre a facilité l’instauration d’un rythme régulier. Mais je crois aussi que l’on peut exprimer beaucoup de choses autrement que par des mots. On parle beaucoup de Dieu, mais les actes que l’on pose sont absolument nécessaires. C’est d’ailleurs un problème très sérieux en Égypte : beaucoup sont plongés dans leur Coran, et ils ne font rien, ils ne travaillent pas, ils n’aident pas les gens. Inversement, ici en France, c’est l’excès contraire : il y a beaucoup de pierres, mais pas assez de spiritualité. D’ailleurs, depuis que j’ai quitté l’Égypte, l’appel à la prière du muezzin me manque énormément.

Christus : Pouvez-vous tenter de décrire ce que vous éprouvez durant la prière rituelle, la manière dont vous la vivez, par exemple si vous êtes dans la paix ou distraite, ou bien si c’est un acte « normal », voire « banal » de votre vie quotidienne ?

L. Azab :
Assez souvent, lorsque je prie, j’ai vraiment le sentiment qu’il se passe quelque chose. Ce n’est donc pas une prière « statique », je dirais même que je suis parfois « secouée », exactement comme lorsque je lis un beau texte ou que je contemple une oeuvre d’art. Il s’agit une action très simple, mais, à chaque instant, elle me plonge dans l’émerveillement. Il est rare que je sois distraite : au contraire, je suis très concentrée, comme lorsque je parle ou que j’écoute quelqu’un qui se trouve devant moi : a-t-on alors le droit d’avoir la tête ailleurs ? Dans la prière, c’est pareil : c’est comme si j’avais Dieu en face de moi, notamment au moment où l’on doit lever légèrement l’index de la main droite pour déclarer que Dieu est l’Unique. Après la prière, je suis souvent incapable de revenir immédiatement à une activité normale : je m’arrête, je sors un Coran et médite. Il en va de même lorsque je finis de jouer du piano (mon instrument de musique) : il me faut un temps de transition pour passer à autre chose, car je suis encore remplie des vibrations des notes de musique.

Christus :
Vous avez évoqué l’importance du Coran dans votre vie, le fait notamment qu’il vous a permis de retrouver la profondeur de votre foi. Pouvez-vous en dire davantage sur son rôle dans la prière même ? Avez-vous par exemple une préférence pour certains versets ?

L. Azab :
L’un des rôles du Coran est de m’aider à me rappeler ce à quoi je crois. Notre livre est si riche ! J’aime tous les versets du Coran, mais plus particulièrement les sourates de la période mecquoise (c’est-à-dire les sourates révélées en premier), qui sont moins concrètes, moins sociales, moins juridiques que les autres. Elles sont d’une très belle poésie, et pour cela, suggèrent magnifiquement le mystère de Dieu et de ses attributs. Par exemple, je prie tout spécialement avec la sourate al-duha qui évoque d’abord la création, puis s’adresse directement à Muhammad en lui rappelant comment Dieu a pris soin de lui lorsqu’il était rejeté ; elle s’achève par un appel à prendre soin du pauvre et de l’orphelin. Cette sourate est d’autant plus belle qu’elle est courte.

Sur la prière communautaire (par Amina)


J’ai découvert petit à petit la dimension communautaire de la prière et ses nombreux bienfaits : grâce à elle, l’esprit et le coeur s’ouvrent et se nourrissent de l’expérience des autres. D’ailleurs, l’islam demande que nous soyons unis, comme des frères et des soeurs, et lorsque la prière est accomplie en commun, nous nous éprouvons tels. Pour ce qui concerne une rencontre avec d’autres croyants par la prière, il convient de rappeler qu’elle a été ordonnée bien avant l’arrivée de l’islam, en particulier aux juifs et aux chrétiens. En ce sens, lorsque je récite des versets coraniques qui évoquent les histoires des prophètes, je peux éprouver que ma prière est un lieu de rencontre entre croyants, car tous, nous nous adressons à Dieu par elle.


Christus : Vous avez beaucoup évoqué la prière personnelle. Que pouvez dire de sa dimension communautaire ?

L. Azab :
Il est vrai que je n’ai découvert la dimension communautaire de la prière que récemment, grâce l’expérience extraordinaire du ramadan, notamment du fait des prières facultatives du soir, à la mosquée, durant lesquelles le croyant récite le Coran (chacun est invité à le lire entièrement durant le ramadan). J’ai appris à mieux le réciter, à mieux le comprendre, et donc à mieux prier. En connaître par coeur de larges passages est une expérience forte : je le garde alors avec moi, dans ma mémoire et dans mon coeur, et je le sens toujours présent en moi. J’ai aussi découvert ce qu’est une communauté. Mais cela déborde la communauté musulmane : par la prière, j’éprouve que je suis liée à tous ceux qui prient, quelle que soit leur religion. C’est sans doute la preuve que l’on cherche Dieu ensemble, même si l’on prie de manière différente. Pour ce qui me concerne, mes premières prières spontanées ont eu lieu dans une chapelle. Il m’arrive aussi de me sentir liée à ceux qui ne prient pas. Je vis une expérience que j’aimerais partager avec tous les croyants.