Ces dernières décennies, nombreux événements ont eu une portée politique et spirituelle considérable. Après l’espérance ouverte par la chute du Mur, en novembre 1989, les conséquences du 11 septembre 2001 se sont fait sentir dans notre monde désemparé : absence d’avenir, crainte diffuse de l’autre, désenchantement présent, perception anxieuse du désordre du monde, parmi les nations comme dans les banlieues. Notre société développée et vieillissante se ferme sur elle-même et sur ses peurs ; inquiète, elle peine à donner la vie et à la partager. Jean-Marie Petitclerc nous invite, par son diagnostic spirituel, à ne pas prendre notre parti d’une société envahie, souvent insidieusement, par la peur, comme en témoignent les vulnérabilités adolescentes (Philippe Jeammet) ou l’insécurité vécue en entreprise (Agnès Guinamand).

C’est peu à peu que nous apprenons à nommer et à distinguer peur, angoisse, crainte. Et sans doute, pour atteindre à notre vérité de créature, faut-il « sauver la peur », selon le beau mot de Marguerite Léna, consentir à « l’expérience de dénuement » inscrite en elle, pour nous en remettre à un autre et nous fier au Créateur et Seigneur du monde. La peur ne s’apprivoise pas seulement, et il ne s’agit pas tant de la dominer que de la traverser, en s’ouvrant aux autres et à l’amour. En entrant dans la confiance, comme y invite le chemin des Écritures, ce « laboratoire d’humanité » (Anne-Marie Pelletier). Chez l’apôtre Pierre, cela prend la forme du courage dans la faiblesse (cf. Mt 14). Quand la barque est battue par les flots parce que les vents sont contraires, le Christ s’avance vers eux et tous crient de crainte. Pierre, lui, entend l’invitation du Christ : « Viens ! » Il descend de la barque et marche vers lui. Et quand sa foi vacille et qu’il commence à couler, il crie à son tour. Alors le Seigneur lui tend la main et le saisit. Tel est le courage des apôtres dans l’Église des Actes (Daniel Marguerat).

Au sein de la tradition spirituelle comme dans l’histoire de l’Église la plus récente, cette traversée, qui a visage de Pâques, s’éduque, notamment par la prière (Claude Flipo). La peur peut se changer en bénédiction et joie, l’angoisse faire place à la remise de soi confiante à un autre, dans l’assurance de la foi en la résurrection (saint François-Xavier). Ce numéro explore quelques chemins qui s’inventent dans la société (Jacques Trublet) et dans l’Église (Daniel Dramane Coulibaly), au creux des situations d’angoisse et de mort, pour une plus grande vie. Alors, selon Bruno Frappat, le « n’ayez pas peur » de Jean Paul II peut être entendu. Il invite à se libérer de l’esclavage qui résulte de la peur de la mort (Rm 8) et ouvre à la vie : « C’est moi, n’ayez pas peur ! »