Ce « plaidoyer » est tiré d’un ouvrage en cours, à paraître chez Bayard dans la collection « Christus ». Si nous en donnons dès maintenant quelques pages à lire, c’est qu’il nous semble urgent de refaire droit à cette faculté qui, dans la société comme dans l’Église, tend à s’amoindrir depuis une trentaine d’années. Pour le dynamisme de la vie spirituelle, ne gagnerait-on pas à l’honorer davantage et, de là, à l’évangéliser ?

J’appartiens à une génération qui a pris conscience des traîtrises du langage — au point qu’on l’accuse maintenant de mutisme — et qui pensait que les actes et les choix, même les plus insignifiants en apparence, portaient à eux seuls témoignage de la fidélité au Christ. Dans la période de dépérissement spirituel que nous traversons, il nous faut sans doute sortir du silence. Mais il serait regrettable de retomber dans les ornières de discours trop chargés de certitudes et qui ne sont, si l’on y réfléchit bien, qu’une autre façon de se taire sur l’essentiel. Or, ainsi que le fait remarquer le psychanalyste Jean-Bernard Pontalis dans L’Amour des commencements 1, « Les insuffisances du langage témoignent des insuffisances de la vie » ; en l’occurrence, la sclérose du langage pourrait bien témoigner d’une sclérose de l’imagination, force de renouvellement et d’adaptation à un monde en mutation.
 

Un enjeu spirituel capital


L’enjeu spirituel est capital. Tout est lié, en effet. Le projet de John R.R.Tolkien, catholique fervent, était, lorsqu’il a entrepris Le Seigneur des anneaux, d’« évangéliser l’imagination » 2. Dans cette perspective, son rêve rejoint celui de Chateaubriand, qui souhaitait, en publiant Le Génie du christianisme en 1802, redonner à ses contemporains, coupés des sources de la civilisation chrétienne, le sens de sa beauté. Paradoxalement, c’est le succès même de Tolkien qui a entraîné une certaine dérive de son projet. Comment expliquer le succès populaire de l’heroic fantasy, produit dérivé du Seigneur des anneaux, roman de Tolkien passé presque inaperçu en France lorsqu’en 1972 l’éditeur Christian Bourgois a pris le risque d’en publier une traduction ? Trente ans après, il a obtenu une