Deux regards se conjuguent pour répondre à cette question curieuse et, qui sait, pertinente : « Peut-on croire à l’amour ? » Celui de la psychanalyse, avec Jean-Pierre Winter, et celui de la philosophie, avec Nathalie Sarthou- Lajus. Le premier tente de répondre à la question à partir de son expérience de praticien. Dans son discours, l’amour est un objet d’étude regardé à distance, parfois même une pathologie ! On peut éprouver quelque difficulté avec un propos qui, aux dires de J.-P. Winter lui-même, « traite de l’âme […] comme un chirurgien opère à “coeur ouvert” ». Cependant, sa parole de praticien permet de mettre au jour des motifs cachés de l’expérience. L’ambivalence de nos affects, le conflit de nos sentiments, les errements de la relation… tout cela prend relief sous le regard scrutateur du psychanalyste. J.-P. Winter présente l’amour comme un objet (l’autre aussi apparaît comme un objet) qui met en mouvement un sujet éminemment solitaire. Ce sujet va vers lui-même, dans l’illusion que la rencontre est synonyme de fusion : un plus un égalent un. Comme si l’amour était en fait le plus grand des égoïsmes.
Or, toute la force de l’amour réside dans le fait que le chemin vers soi-même passe par l’autre (l’Autre ?), c’est de relation dont il est véritablement question. Dans l’amour, un plus un ne doivent pas faire un mais bien deux. L’amour véritable est celui qui construit des êtres singuliers en relation et c’est en cela que réside sa force : une puissance créatrice. Ici, Nathalie Sarthou- Lajus prend la parole à la première personne et laisse la place à la poésie et à la spiritualité. Elle parle non d’un objet mais de sujets aimants, d’une « expérience totale ». « J’ai la faiblesse de croire en l’amour », dit-elle, un amour qui est véritable quand il laisse tomber les illusions, qui est plein quand il nous apprend à aimer tous les autres. N. Sarthou-Lajus ne nous berce pas d’illusion, l’amour dont elle parle traverse l’épreuve, la souffrance et l’échec. Elle rappelle que pour un chrétien, un coeur qui aime est un coeur blessé. Le lieu d’où parle N. Sarthou-Lajus est un lieu où Dieu est présent. L’amour dont elle parle se vit et se comprend à la lumière de la Bible, c’est un commandement. S’il semble impossible d’obliger à aimer, c’est précisément au coeur de cette impossibilité que le commandement prend tout son sens : l’amour n’est pas un sentiment fugace, il est une oeuvre de la volonté. N. Sarthou- Lajus nous décrit l’amour tel qu’il se vit, fait d’émerveillement et de jubilation, d’espaces intimes et de « chambres communes », de pudeur et de mise à nu, de dépossession et de don, de prise et de déprise.
L’amour dont elle parle est vivant, en mouvement, il grandit et fait grandir. Il est question de chairs, de corps, d’élans, de vertiges, d’abîmes, de grâce et de joie… Assurément, elle nous fait croire à l’amour.
 
Marie-Caroline Bustarret