Il est hautement recommandé de commencer ce recueil d'articles par la fin, par « L'acte de lire », paru – d'heureuse mémoire – en 2000 dans Christus. Cet acte, pour le philosophe et poète Jean-Louis Chrétien (1952-2019), ne se différencie guère de l'« acte de prier », qu'il préfère appeler « l'acte de se retirer » : « Même au milieu de la foule et du bruit, un halo de silence et de solitude semble entourer le lecteur, lequel émane de son libre retrait : il se rassemble en son regard, il vit sur sa pointe mobile. » Le lecteur peut aller, ainsi, jusqu'à s'oublier lui-même, jusqu'à oublier qu'il lit… Le premier modèle que suit l'authentique lecteur (celui qui, par ce moyen, ne cherche pas uniquement à s'informer, se distraire, s'évader), c'est la conversation, autrement dit le « dialogue avec les absents » (saint Augustin). Le temps de cet « entretien », de ce « colloque » avec les auteurs présents en dépit de leur absence, ou bien absents en dépit de leur présence, n'est jamais neutre. Un court laps de temps ou une éternité (c'est tout un ici), le lecteur donne l'« hospitalité » à ce présent-là au risque d'en être transformé de l'intérieur. « Lire c'est toujours apprendre à lire, et nous n'en aurons jamais fini avec le noviciat de la lecture. » Or ce novice a pour premier devoir de reprendre sans cesse sa lecture, afin de pouvoir en répondre un jour ou l'autre. Et en « relisant sa vie » devant autrui, il répond du fait que Dieu peut lire dans ses yeux les questions posées au jour le jour par le monde environnant.

Ce renouvellement du regard, Jean-Louis Chrétien en fait aussi preuve dans les autres pages sur de grands poètes (de Ronsard à Du Bouchet, en passant par Baudelaire et Rilke), de grands philosophes (de Platon à Maldiney, en passant par Plotin et Heidegger) comme de grands mystiques (de Bernard de Clairvaux à Angelus Silesius, en passant par Jean de la Croix et Marie de l'Incarnation).