À qui l’interrogeait un jour sur l’épouvante des camps nazis, l’écrivain Primo Levi répondit que ce n’était pas la haine, mais bien plutôt la peur de l’homme qui, désormais, dominait en lui. Que — par-delà les accidents et les catastrophes qui fondent sur les vivants — l’être humain puisse être le plus grand danger pour son semblable, voilà une évidence nourrie par une histoire immémoriale. Même le partage d’une commune fragilité ou d’une commune épreuve ne fait pas des humains spontanément des alliés. Un Alfred Thesiger, explorateur des déserts d’Arabie, tenait la rencontre d’autres hommes au coeur de sables perdus pour le grand péril, bien plus redoutable que la soif, la faim ou l’épuisement. Même en des circonstances plus ordinaires, toute rencontre expose à la double possibilité que l’autre se montre bienveillant ou qu’il se révèle hostile. Cette incertitude est précisément l’interstice où se glisse depuis toujours la peur de l’autre.
 

Peur de l’autre homme


Et c’est un fait que le livre biblique, ce laboratoire d’humanité, est rempli dès le départ de mentions de peurs, d’effrois, de récits de fuites, de cris de détresse. Abraham vient tout juste de s’entendre appelé et béni que, descendant en Égypte, il craint pour sa vie à cause, dit le texte, de la convoitise que va susciter la beauté de Sara (Gn 12,12). La même Sara est saisie par la peur, lorsque le messager, porteur de l’annonce qu’elle sera mère, lui fait reproche d’avoir ri à sa parole (18,15). Plus loin, les relations entre Jacob et Ésaü, marquées dès l’origine par le conflit, composent tant bien que mal, entre peur et ruse, méfiance et négociation (cf. ch. 32).
L’histoire de l’Exode décline à son tour de multiples manières l’expérience de la peur de l’autre. Peur de Pharaon devant la fécondité des fils d’Israël (1,10). Peur de Moïse qui, ayant tué l’Égyptien et se sachant découvert, s’enfuit à Madian (2,15). Terreur du peuple tout entier, en cet instant paroxystique où, le dos à la mer, il voit les armées de Pharaon le