Il y a des pertes qui ne se compensent pas. Le deuil et certains deuils en sont l'exemple le plus évident. Ils nous atteignent à une telle profondeur qu'on peut les considérer comme l'archétype de la perte. Or le premier réflexe qui en marque la nature et donne quelque prise pour les penser est le refus d'être consolé. Rien ne fait plus horreur que celui qui s'avance vers vous pour vous dire des paroles de consolation du genre : « Tu la reverras. Elle est au ciel, près du Père… » Mais oui, mais oui ! Mais il ne faut pas faire passer Pâques avant les Rameaux, comme on disait dans nos campagnes, à propos d'un tout autre sujet. Il faut, au contraire, séjourner en ce lieu car la douleur que l'on éprouve est le seul lien que l'on a avec celles et ceux qui sont morts, comme si cette douleur était la brèche par laquelle ils s'étaient enfuis (mais où ?).
Mais il n'y a pas que cela. Dans la douleur même, se tient un savoir dont on sait aussi bien qu'il est éphémère, que bientôt, dans un mois, dans un an, nous souffrirons encore mais qu'il aura disparu ou plutôt se sera enfoui comme une écharde sous la peau, et nul ne sait ce qu'il sera devenu. Mais, pendant un temps plus ou moins long, la mort de l'autre n'est pas encore devenue l'une de ses propriétés, elle est un pur événement qui a brisé, déchiré toutes les constructions pour faire apparaître la réalité nue, inouïe. Ce savoir nous le tenons pour inestimable, personne ne peut souhaiter l'acquérir mais, une fois qu'il est là, il porte en lui l'exigence d'être éclairci.
Il n'est pas facile de savoir ce qu'il dit. Et d'abord parce que nous commençons par faire tout ce que nous pouvons pour lui échapper, en mettant en place des stratégies