Préf. et trad. P.-E. Dauzat. Éd. I. Jens. Tallandier, 2008, 367 p., 23 euros.
Le 18 février 1943, alors qu’ils lâchent dans l’université de Munich des tracts appelant à lutter contre la terreur nazie, Hans et Sophie Scholl, étudiants en médecine et en philosophie, sont arrêtés. Condamnés pour haute trahison, ils seront guillotinés quatre jours plus tard. Cette sentence expéditive par crainte de contagion manifeste bien la force subversive d’esprits libres et le geste politique qu’est la contestation. Comment de très jeunes gens qui ont grandi dans l’Allemagne des années 30, enrôlés dans les mouvements de jeunesse hitlériens, s’affranchissent de l’esprit du temps : tel est l’itinéraire bouleversant que l’on découvre à la lecture de ces lettres et carnets rédigés entre 1937 et 1943, et qui témoignent de leur prise de conscience, à travers un cheminement intérieur et spirituel.
Ces grands sportifs, qui aiment passionnément la musique et la nature, sont aussi d’insatiables lecteurs. Dotés déjà d’une solide culture classique, ils manifestent un étonnante ouverture. Lire constitue un premier acte de résistance par rapport à l’esprit de masse, dont ils souffrent en particulier dans la promiscuité qu’impose l’armée à Hans ou le service obligatoire dans un jardin d’enfants à Sophie. Avec une sûreté de jugement qui impressionne, chacun tire toujours plus d’acuité de ses lectures. Hans se défie de Jünger, mais lit Carossa et Wiechert. Sur le front en 1940, il apprend le français et découvre Bernanos, Claudel, Bloy. Dans son journal de Russie, il oppose à la grandeur inaccessible de Goethe la profondeur de la misère humaine et du chaos que fait voir Dostoïevski. Avec une grande clairvoyance, il comprend que l’essence du nazisme réside dans l’asservissement des consciences et le nihilisme spirituel, et dénonce dès 1941 l’entreprise d’extermination des juifs. Le regard porté sur la nature s’aiguise dans d’admirables pages écrites pendant la campagne de Russie en 1942, en reconnaissant dans la Création l’oeuvre d’un Dieu d’amour livrée à la destruction des hommes. Chez Sophie, le badinage laisse vite la place à un même sentiment de responsabilité.
Ces itinéraires sont exemplaires par leur exigence et l’honnêteté qui les anime. Hans et Sophie Scholl ne sont pas des héros mais des croyants, dont la recherche de justice trouve sa traduction dans des actes qui vont leur coûter la vie. C’est le mot âme qui vient à l’esprit en les écoutant. « Je ne peux rester à distance, écrit Hans, parce que cette guerre est au fond une guerre à propos de la vérité. »