La vie d’Ignace de Loyola peut se décliner à travers des noms de ville, dont chacune évoque un temps de son itinéraire spirituel : Pampelune, Loyola, Manrèse, Jérusalem, Barcelone, Alcala, Sala­manque, Paris, Rome. À la simple audition de ces noms, le lecteur quelque peu familier de l’autobiographie ignatienne voit surgir sous ses yeux et résonner à ses oreilles, délicatement ordonné par le travail de la mémoire, tout un univers chamarré et sonore d’ex­périences, de motions et de transformations intimes et ecclésiales, qui conduisent peu à peu le converti solitaire, devenu pèlerin de Dieu, à la fondation de la Compagnie de Jésus.
 
 

Venise dans la mémoire spirituelle d’Ignace

 
Dans cette géographie citadine et mystique, Venise (et plus large­ment la Vénétie) occupe toutefois une place originale, dans la mesure où Ignace y séjourne à trois reprises, à des époques bien différentes de son chemin vers Dieu. Or, nous le savons d’expérience, retrouver après une longue absence des lieux qui nous furent familiers, donne à nos sens, à notre coeur et à notre intelligence, transformés et mûris par le travail des ans, d’éprouver quasi intuitivement l’épaisseur du temps, la chair de l’histoire, la trame du vécu. Le paysage, le monu­ment, la ruelle qui n’ont physiquement pas changé nous renvoient par contraste, dans une sorte de relecture instantanée du sablier des jours, à tout ce qui en nous a profondément changé, de sorte qu’il n’y a parfois pas d’endroits qui nous paraissent plus étranges que certains lieux familiers de notre enfance, où nous pourrions pourtant, comme jadis, avancer les yeux fermés.
Venise, avec Loyola où il retourna en 1535, tient dans la vie d’Igna­ce le privilège d’être le seul pays où il ait pu palper, à des années de distance, le changement produit dans son âme par sa docilité aux voies de Dieu. La Sérénissime offre à son tour au lecteur qui contemple la vie du « fou de Dieu » de mieux percevoir, dans l’action de grâces, la manière dont Dieu n’a cessé de le conduire.
La deuxième particularité des séjours vénitiens, d’une durée totale d’un peu plus de deux ans, est d’être tous liés au désir d’Ignace, puis au voeu des premiers compagnons, de se rendre en Terre Sainte pour y demeurer sur les traces du Christ et y convertir les