Après les passionnantes études sur Thérèse écrivaine, l’historien Claude Langlois raconte Thérèse après Thérèse : la manière dont se sont construites, après sa mort, l’image de la sainte et surtout celle de sa doctrine spirituelle, de préfaces en témoignages et commentaires, patentés ou non, jusqu’à sa canonisation. Ce que les historiens appellent la « réception » de Thérèse. Le carmel de Lisieux, Pauline (Mère Agnès) au premier chef, en fut l’organisateur efficace, à partir de l’Histoire d’une âme, de ses commentaires et de ses produits dérivés.

L’auteur s’appuie sur une documentation abondante et précise, dûment référencée. On assiste sur pièces à la transformation progressive de ce que Thérèse avait appelé sa « petite voie », « voie toute de confiance et d’amour », en « spiritualité de l’abandon » (Dom Lehodey, 1919) et, finalement, en doctrine de l’« enfance spirituelle » (Benoît XV et Pie XI), expression qu’elle n’avait jamais utilisée, mais qui avait été suggérée par Mère Agnès. Étonnante plasticité d’une figure de sainteté et d’une vie de foi qui semblent à la portée de toutes les âmes et d’abord des plus « petites » !

Thérèse, en effet, rompant avec le jansénisme qui continuait à empoisonner le catholicisme romain, « déshéroïse » la sainteté. Là est sans doute le secret de son succès. Elle n’intimide pas. En outre, dans sa vie d’adulte, pas de « phénomènes extraordinaires », pas de surnaturel constatable. Comme Charles de Foucauld, elle incarne la mystique moderne par excellence, jusque, en son cas, dans l’absence de Dieu amèrement mais paisiblement goûtée dans la prière des dix-huit derniers mois. On peut s’étonner qu’Henri Bremond, dont Claude Langlois analyse finement le point de vue, n’ait pas cru, en 1904, en l’avenir de Thérèse. Il est vrai que la popularité de celle-ci n’a vraiment éclaté qu’à partir de 1908.

On attend avec impatience la suite de la carrière de Thérèse, notamment auprès des théologiens. Georges Bernanos a-t-il eu raison de prédire, dans L’imposture, à propos de The Little Flower (titre anglais de l’Histoire d’une âme), que son « sourire céleste, tentation des niais faciles, restera toujours la rose la plus sanglante et la mieux défendue des jardins du paradis » ?

Dominique Salin