Le progrès de notre vie spirituelle exige à la fois l'attention aux attraits de l'Esprit saint et la lucidité en face des tentations qui paralysent ou corrompent les élans les plus généreux. En ce monde où l'ivraie est toujours mêlée au bon grain, il n'y a pas de soumission à l'Esprit qui ne comporte aussi une lutte contre la présence agissante du mal.

Nous pouvons cependant envisager sous un aspect plus positif le progrès de l'« homme nouveau » qui, né de l'Esprit, ne doit jamais cesser de croître et de s'achever dans l'Esprit. Saint Ignace lui-même, si attentif au « discernement des esprits bons et mauvais », semble plus d'une fois laisser entendre que la vie spirituelle doit conduire à une attitude plus profonde encore1 : à côté du conflit entre le bien et le mal, il importe de découvrir peu à peu que le bien lui-même, c'est-à-dire la grâce de Dieu, agit en chacun de nous d'une manière qui lui est propre : il faut savoir « discerner » cette action, reconnaître en quel sens elle s'exerce, s'offrir à ses impulsions. À aucun moment ne cessera la lutte entre la lumière et les ténèbres, mais l'accueil paisible de la lumière assure déjà une victoire plus définitive qu'on n'en pourrait attendre de la lutte la plus tendue.

C'est de cette expérience positive que nous voudrions parler dans cet article. Les consolations et désolations constituent ces « motions » dont saint Ignace parle si souvent, signes de la présence vivante de l'Esprit saint dans l'âme : les ressentir, les interpréter et les suivre, cela relève d'une fidélité spirituelle dont dépend finalement la sainteté de celui qui veut vivre uniquement afin que Dieu se serve de lui pour l'avènement de son Royaume.

L'expérience d'Ignace

La docilité à l'Esprit agissant dans nos âmes fait partie de l'enseignement le plus traditionnel des saints. Mais cet enseignement ne nous parvient guère qu'au travers de leur propre témoignage. C'est pourquoi, pour mieux comprendre la pensée exacte de saint Ignace, il est bon d'en revenir à son expérience spirituelle et en particulier à cette expérience qui, aux jours de Loyola, orienta définitivement sa vie.

Elle se déroule comme en trois temps2. Dans l'âme du chevalier convalescent s'affrontent d'abord les pensées mondaines où se complaisent ses désirs humains, ses ambitions, son goût pour les prouesses guerrières ou sentimentales, et les pensées spirituelles que lui suggèrent ses lectures de la vie du Christ et de l'histoire des saints. Ces pensées s'accompagnent de sentiments intérieurs dont la nouveauté contraste avec le calme sans histoire de son âme d'autrefois3. Sensibilité à un monde intérieur sur lequel, en un second temps, il se « met à réfléchir » : le fait d'une telle diversité de pensées et de sentiments, la conscience qu'il en prend, la connaissance où il parvient de leur origine spirituelle et de leur sens, « telles furent les premières réflexions qu'il fit dans les choses de Dieu » : déjà, le chevalier est devenu pèlerin décidé à imiter la pénitence des saints et à partir pour Jérusalem. « Saints désirs », certes, mais qui ne paraissent pas suffire à la stabilité et à la profondeur du retour à Dieu ; voici qu'en un troisième temps ces désirs se trouvent « confirmés4 » par une grâce extraordinaire : « une vision de Notre Dame et du Saint Enfant Jésus » lui assure à la fois une consolation d'une intensité exceptionnelle et un dégoût « des choses de la chair » qui va lui permettre d'en vaincre désormais les tentations, pour lui si dangereuses. Alors, seulement, il peut parler du « changement qui s'était opéré intérieurement dans son