Chaque année la lecture de la Passion nous rappelle comment Jésus-Christ a livré sa vie pour nous. Quels fruits pouvons-nous attendre et espérer pour notre foi d’une contemplation du Christ dans sa passion ? Comment pouvons-nous ici le suivre, le rejoindre dans notre désir et notre chemin de sainteté ?
 
Non pas en cherchant à intérioriser ces scènes de violence ou à se représenter les souffrances endurées par le Christ. Encore moins à chercher à les vivre ou à les ressentir intérieurement dans une sorte de dolorisme culpabilisant. Le théologien H. Urs von Balthasar l’a dit admirablement. Il ne s’agit pas là de se livrer à « des travaux ascétiques et mystiques en se détournant d’un monde que Dieu a de façon si opératoire et efficace retourné vers lui », (Une théologie des Exercices spirituels, 189). Participer à la Passion du Christ, c’est être renvoyé à la « folie de la croix » comme dit Paul, c’est être invité à entrer dans le mouvement et la démesure de l’amour de Dieu pour nous. Seule cette folie d’amour peut vaincre en nous et autour de nous la puissance destructrice des forces du mal. En Jésus elle est allée jusqu’à se perdre pour nous chercher (comme la brebis égarée ou la drachme perdue) dans nos chemins les plus obstrués, nos inimitiés les plus tenaces, nos intentions les plus mensongères, nos lâchetés et nos trahisons les plus abyssales. Elle culmine dans la croix de Jésus. C’est pourquoi la méditation de la passion ne consiste pas s’émouvoir, bien légitimement pourtant, de l’intensité de ses souffrances ou de l’injustice dont il est victime. Mais de se laisser pénétrer par la force de l’amour qui s’exprime dans cette mort offerte et le pardon donné aux bourreaux (M. Rondet, Laissez-vous guider par l’esprit, 99-100).
 
Dans la spiritualité chrétienne, l’intériorité n’est pas le lieu premier de la foi et de la recherche du vrai bonheur. Ce qui est premier c’est la voix qui nous appelle par notre nom et nous fait spontanément nous retourner, comme Marie-Madeleine ; c’est le corps qui fait signe pour le soin, l’aide, l’amour ; c’est l’autre qui appelle pour la danse ou le deuil, la compassion ou la joie. La vie intérieure est l’espace ouvert par cette écoute et la vie nouvelle qu’elle éveille alors en soi : là se nourrit et s’éprouve, se discerne, la fidélité à Dieu, à l’autre, à soi-même.
 
Contempler et participer ainsi à la passion du Christ est une grâce. Celle de commencer ou de recommencer aujourd’hui même à donner la première place à l’autre, à donner de sa vie, de son temps, de son énergie, de son affectivité à celui que pourtant ni la sensibilité, ni l’intérêt, ni même les convictions ne nous encouragent parfois à rejoindre et aimer.
Le désir de vivre de cet excès d’amour que donne le Christ dans sa passion retrouve ici l’évangile du 1° jour du Carême chez Matthieu 6, 3 : vivre de la justice de Dieu, c’est pratiquer le partage et l’aumône dans la discrétion, avant même la prière ou le jeûne.

                                                                                                 Remi de Maindreville, sj