Le veilleur a forcément quelque chose d'un solitaire : il a besoin de se mettre un peu en retrait de tout ce qui bouge, il doit se tenir à distance des interactions incessantes qui le sollicitent sans répit et ramènent au premier plan le souci qu'elles soulèvent, comme le nuage de poussière au passage d'un convoi ou la nébuleuse de pollution qui recouvre les villes. Dans la veille, tout cela est suspendu. Nous sommes ainsi mis à distance des bruits de fond sans trêve, du buzz et de tout ce qui grince, avertit, tape, siffle et maugrée. Cela suppose de faire place au silence intérieur, de laisser reposer autour de soi ce qui d'habitude est en mouvement, toute la série des actions dans lesquelles nous nous appliquons à obtenir un résultat en y mettant pour cela l'énergie nécessaire.

Pour autant, le veilleur n'est pas passif. Il doit au contraire mobiliser une énergie considérable, mais c'est une mobilisation paradoxale : je rassemble mes forces non pour saturer mon environnement de ma présence et de mes actions mais, au contraire, pour ouvrir un espace d'attente, un espace libre, y compris, donc, de moi. C'est sans doute ce paradoxe qui rend la veille difficile : il est relativement aisé de centrer son attention sur un point précis où quelque chose se passe qui appelle à s'activer, et beaucoup plus difficile de se mobiliser en vue de ce qui reste imperceptible.

Ce retrait en deçà de ce qui bruisse et bourdonne met à distance des acteurs avec lesquels nous sommes d'habitude à la manœuvre. D'où une certaine solitude du veilleur qui parfois, d'ailleurs, n'est pas comprise, notamment lorsqu'on l'interprète comme un repli sur soi ou comme une sorte de réprobation ou de dédain pour le monde et ce qui l'agite. En réalité, ce suspens tisse également une communion,