Que la Bible soit pleine de violence est fondamentalement sain. Que les récits mettent en scène la violence humaine, que les lois cherchent à la réguler, que les prophètes la que les psalmistes la prient ou que les sages la prennent en compte dans leur réflexion, voilà qui ne devrait pas étonner. Que serait ce livre qui parle de l'alliance entre Dieu et les humains s'il faisait l'impasse sur cette pénible constante de l'histoire qu'est la violence ? Celle-ci n'est jamais aussi dangereuse que quand elle se cache. A la mettre en pleine lumière sans ambages et de tant de manières, la Bible n'oblige-t-elle pas à la regarder en face, jusque dans ses formes les plus subtiles ou les plus sournoises ? Ne permet-elle pas de pister ses racines cachées, de constater ses effets de mort si divers et parfois insoupçonnés ? Va donc pour la violence des humains.
Mais la violence de Dieu ? Qu'au coeur même de la joyeuse profession de foi entonnée par le peuple libéré de la servitude retentisse la proclamation : « YHWH est un homme de guerre ! » (Ex 15,3) a de quoi en scandaliser plus d'un. Et toutes les remises en contexte historique auront beau faire. Même si l'on s'explique bien comment un peuple du Proche-Orient ancien a pu faire sienne et entretenir une telle conception de son Dieu 1, il restera à expliquer pourquoi l'Eglise naissante n'a pas suivi Marcion, pourquoi, vingt-cinq ou trente siècles plus tard, alors qu'ils professent une tout autre image de Dieu, juifs et chrétiens continuent à lire ce texte et à le dire inspiré... Serait-il donc encore de nature à nous inspirer ? Donnerait-il à penser plus loin, ce Dieu violent qui cadre si mal avec ce que les croyants aimeraient que leur Bible montre de lui ?
Car ce n'est sans doute pas le moindre mérite du Dieu violent que de nous débusquer violemment d'un savoir confortable sur Dieu, pour nous renvoyer au mystère insondable du Nom indicible, pour nous contraindre à chercher encore. Aussi les pages qui suivent n'ont-elles d'autre ambition que de signaler l'une ou l'autre voie que je crois féconde pour tenter de dire malgré tout quelque chose de cet impensable.


En tête, un Dieu de douceur


La première page du Livre (Gn 1,1-2,3) donne de Dieu une image de douceur. Pourtant, dans ce qui apparaît de lui d'emblée, son « vent », il est loin d'être exempt de violence au moins potentiellement. En effet, l'expression « vent de Dieu » désigne en son sens concret une « tempête de Dieu le Père » dont la violence soulève le chaos des eaux abyssales noyées dans les ténèbres (1,2). Un Dieu qui en rajoute au chaos, pour ainsi dire. Mais le verset suivant enregistre une transformation radicale de cette puissance sans retenue : « Et Dieu dit. » Dieu retient donc pour l'apaiser « le vent de sa bouche » (Ps 33,6) et articule une parole de lumière en modulant son souffle où s'entend déjà la couleur de voyelles : yehî 'ôr (« Que lumière soit », Gn 1,3). Ainsi, « au commencement » est la maîtrise que Dieu exerce sur sa propre maîtrise, la sage retenue qu'il impose à sa puissance « principe » d'une création entièrement portée par cette parole, avant que le repos du septième jour vienne poser son sceau de douceur sur cette force 2 qui, pour avoir renoncé à la violence qu'elle contient, a su faire largement place à de l'autre. Ainsi, pour que la terre vive dans l'harmonie procédant de sa douceur, Dieu crée l'humanité, l'invitant à s'achever à son image : comme lui, elle exercera la maîtrise sur le monde, en particulier sur l'animalité ; comme lui, elle le fera avec douceur, puisqu'elle se nourrira de végétaux, n'ayant pas à tuer ceux qu'elle commande. Elle présidera ainsi à une paix universelle (1,28- 30).
Le Créateur ne semble donc pas prévoir la violence. En réalité, il la prévient soigneusement lorsqu'il donne aux humains leur nourriture, accompagnant ce don par des paroles qui leur indiquent une voie de douceur et les invitent à faire place eux aussi à l'altérité (1,28-29 et 2,16-17) 3. Mais les humains écoutent l'animal plutôt que Dieu ; ils sombrent dans la convoitise et la violence (3,1-6 ; 4,5-8). Dieu revient alors, mais sous les traits d'un juge qui poursuit le fautif pour le sanctionner durement (3,8-24 ; 4,9-14). Tout se passe donc comme si le mal de l'humain corrompait sa manière de voir un Dieu qui, derrière les sentences du juge, ne fait que le mettre en face des conséquences de son choix de la convoitise. Au demeurant, il s'engage à lutter contre le serpent et ses nuisances (3,15) — ce qu'il fait dès que Caïn s'y trouve confronté (4,7) — et, refusant que le meurtrier soit tué, il le protège par une parole menaçante censée dissuader tout vengeur (4,15). On notera cependant que, jusque dans ces paroles de bonté, la violence affleure, comme si Dieu lui-même expérimentait qu'à vouloir s'opposer au mal on court le risque de se laisser gagner par sa logique. Du reste, la violence ne cesse pas. Elle va plutôt croissant chez les humains (4,23-24 ; 6,4-5.11-12). Et lorsque Dieu constate qu'elle détruit la terre, il libère sa propre violence qui ramène le monde au chaos (6,13), non sans épargner un juste, histoire de préparer une issue positive au moment de faire table rase (6,17-18). Mais une fois le désastre consommé, Dieu regrette ce qu'il a fait (8,21-22). Il décide de prendre en compte la violence. Aussi lui donne-t-il un espace en laissant les humains tuer les animaux pour en manger la chair. Mais il pose aussi une loi pour limiter la violence de sorte qu'elle n'entrave pas complètement l'essor de la vie (9,1-6). Cette nouvelle version de la bénédiction (cf. 1,28) inaugure le « monde réel », celui d'un « compromis dans la gestion de la violence » qui commande la suite de l'histoire 4 ; la vocation de l'humain de s'accomplir à l'image de Dieu reste néanmoins identique (9,6). De son côté, Dieu s'engage vis-à-vis de l'humanité nouvelle à renoncer définitivement à la violence, en signe de quoi il dépose les armes, abandonnant son arc dans la nuée (9,8-17). Cela ne l'empêche pas de réagir. Quand, par peur d'être dispersés et donc différenciés, les humains de Babel font le nid du totalitarisme Dieu s'empresse de mettre un terme à ce projet violent parce que négateur de l'altérité : il instaure des distinctions, comme lors de la création (11,1-9), mais en imaginant aussitôt, avec l'élection d'Abram, un chemin d'unité qui n'abolisse pas les différences : le chemin de l'alliance (12,1-3) 5.
C'est donc l'image d'un Dieu de douceur qui domine l'histoire des origines, une douceur d'emblée conquise sur la violence mais rattrapée par la violence humaine. Dieu alors se cherche lui-même pour tenter d'y parer, expérimentant pour ainsi dire la difficulté de la contrecarrer sans lui céder. Aussi le voit-on emprunter des voies de violence avant de rechoisir unilatéralement la douceur, sans fuir pour autant le terrain où la violence menace de destruction la création et l'humanité. Tel est l'en-tête de l'ample récit biblique qui, s'il place Dieu résolument du côté de la douceur, ne le fait pas sans fortes tensions. Celles-ci ne sont pas le fait de Dieu, mais de la violence qui compromet son projet et qu'il voudrait voir maîtrisée — celui qui a lu Gn 1 le sait Mais, à moins de livrer le monde à lui-même, le Créateur ne peut éviter de se confronter avec elle. Et s'il ne veut pas abandonner sa créature il doit compter avec des humains qui convoitent et font violence parce qu'ils acceptent mal l'altérité, y compris la sienne. Il ne peut donc se montrer qu'à des gens chez qui la violence altérera ses traits, et qui, faute de pouvoir reconnaître son altérité, projetteront en lui leur propre violence. Ce risque le Dieu de la Bible le prend en consentant à ce qu'est l'humanité, dans l'espoir qu'à se compromettre ainsi avec sa violence il pourra inventer avec eux des voies pour convertir cette énergie mortifère en force de vie C'est du reste à cet effet qu'il prévoit des lois qui, comme celles de Gn 9,4-6, viseront précisément à contenir la violence, bien qu'elles aient partie liée avec elle


Violences de Dieu : esquisse d'une typologie


Le Dieu dont nous parle le premier Testament (le nouveau aussi, d'ailleurs) est donc impliqué dans la violence. Mais il l'est de différentes manières, que je voudrais illustrer brièvement.
Que la violence écrase l'homme, qu'elle compromette le « vivre ensemble » des humains, voilà un constat que la Bible assume entièrement. Face à un tel mal, le Dieu bon et juste ne peut rester indifférent sous peine de se rendre complice de la violence : des psalmistes ne se font pas faute de le lui rappeler (28,1 ; 94,20). Mais comment mettre un terme à l'intolérable sans user de violence contre les fauteurs de mal ? Pour autant que cette violence soit proportionnée et qu'elle consente à se limiter, ne peut-elle être justifiée ?
Lorsqu'Abraham discute avec Dieu sur le sort de Sodome, il ne met pas en cause le fait que cette ville mérite un châtiment exemplaire ; il doute seulement que Dieu honore sa justice en faisant périr les justes avec les méchants, ou même en n'épargnant pas la ville s'il s'y trouvent quelques justes (Gn 18,20-33). Quant à Pharaon, Adonaï lui offre dix fois la chance de devenir le libérateur des esclaves israélites avant de jouer sur son envie rageuse de les garder à tout prix pour le précipiter dans la Mer (Ex 7 à 14). Il montre ainsi jusqu'où va la folie des tyrans qui, plutôt que de céder à des revendications pourtant légitimes, courent à leur perte et entraînent dans leur malheur ceux qui ont partie liée avec eux. Après Pharaon, combien d'agresseurs d'Israël Dieu ne combattra-t-il pas ? Mais il montrera aussi sa justice en châtiant son propre peuple lorsqu'il optera pour l'idolâtrie et l'injustice. Une telle conception d'un Dieu à la justice musclée sous-tend une bonne partie de la prière du Psautier, tandis que le livre de la Sagesse décrit l'équipement du divin guerrier partant au combat pour protéger les justes contre les insensés qui les menacent (5,15-20).
S'inscrivant dans la même ligne, d'autres textes tentent d'exonérer Dieu du poids de la violence que sa justice entraîne. Ainsi, Dieu interviendrait seulement pour faire en sorte que le violent s'autodétruise, victime de sa propre violence, en quelque sorte. Il y a quelque chose de cela dans le récit archétypal du passage de la mer (Ex 14), je l'ai dit. Mais c'est bien plus net encore dans la victoire de Gédéon sur les Madianites qui, effrayés par le vacarme subit et les flammes des torches, retournent leurs épées les uns contre les autres, à l'instigation d'Adonaï (Jg 7,19-22). De même, les ennemis de Josaphat s'exterminent mutuellement lorsque Dieu répond à la liturgie d'Israël en semant la discorde parmi eux (2 Ch 20,21-24). Ailleurs, c'est la nature elle-même qui, répondant à son Créateur, frappe les violents, comme lors du déluge où la violence des éléments met un terme à celle des hommes. C'est le modèle à l'oeuvre dans les plaies d'Egypte et en Ex 14 où le vent et la mer unissent leurs forces pour engloutir Pharaon, mais aussi chez les prophètes décrivant le châtiment qui frappe l'Israël infidèle (Am 7,1-6 ; / I l à 2 ; Dt 28,38-42). Ce type de scénario est thématisé par le Salomon grec (Sg 5,20-23) qui va même plus loin, suggérant que les violents sont punis par où ils ont péché (11,16) et que c'est au fond leur propre mal qui les terrasse (17,21). Il ne fait en cela que reprendre un thème que partagent les psalmistes : « Le mal fait mourir le méchant » (Ps 34,22) ; « Son crime lui revient sur la tête, sa violence lui retombe sur le crâne » (7,17).
Si certains textes tentent d'acquitter Dieu de la violence qui sanctionne le violent, d'autres parlent d'un Dieu qui fait violence sans raison et s'en prend à des innocents. Ainsi, Adonaï frappe de plaies Pharaon qui, en toute bonne foi, a pris pour femme Saraï qu'un Abram apeuré a fait passer pour sa soeur ; et pourtant, c'est ce dernier qui a menti sans vergogne et a tiré parti de l'affaire (Gn 12,10-20). Mais cette histoire pèse peu face à l'extermination des Cananéens ordonnée par Dieu à Josué et à son peuple en vue de leur donner leur terre. Les arguments historiques ne suffisent pas à excuser un tel ordre.
Car ce n'est pas en montrant que ces tueries n'ont pas eu lieu historiquement que l'on dédouanera Dieu de les commander, ni en invoquant son horreur des idoles que l'on justifiera son ordre d'éliminer leurs fidèles. Du reste dès la Genèse, le narrateur de l'histoire d'Israël montre son malaise face à ces atrocités en tentant de les légitimer par le crime des habitants de Canaan (Gn 15,16 ; cf. Dt 9,5), une faute qui leur vaudra d'être vomi par leur terre quand Dieu décidera de la châtier (Lv 18,24-30). Plus loin, un prophète oindra Jéhu pour qu'il tire vengeance de la maison d'Akhab lors d'horribles massacres apparemment bénis par Adonaï dont ce roi défend la cause (2 R 9 à 10).
Pourtant, auparavant, Dieu avait contesté l'ardeur meurtrière d'Elie contre les prophètes de Baal en le conduisant à l'Horeb pour se révéler à lui comme un Dieu qui, au-delà de toute puissance choisit la douceur, celle qu'évoque « la voix de fin silence » où le prophète perçoit sa présence (1 R 18 à 19) 6. Serait-ce que Dieu approuve chez un roi la violence qu'il récuse chez un prophète ?
Ces quelques exemples illustrent assez, je crois, les multiples façons dont le premier Testament attribue à Dieu une violence active. Mais, à les évoquer, on perçoit aussi combien elles relèvent de la représentation. Ce sont des conteurs, des prophètes, des psalmistes, des sages qui proposent ces figures pour évoquer, avec des catégories et des images humaines, un Dieu au Nom imprononçable et dont il est interdit de se faire des images figées (Ex 20,4). Aussi, si ces images violentes disent quelque chose de Dieu (il combat le mal, il est juste, fidèle à ses engagements, exigeant pour son allié, etc.), elles ne disent pas tout de lui, et elles ne le disent qu'avec les mots de croyants dont l'existence, la pensée et la foi ne peuvent pas ne pas être affectées par la violence qu'ils subissent ou produisent. Il est dès lors essentiel de tenir soigneusement l'écart entre représentations et vérité, tout en sachant que celle-ci reste hors prises radicalement et ne peut être approchée qu'en traversant ces images aussi indigentes qu'indispensables.


Au-delà de la violence ?


Pour situer ces représentations dans une perspective plus large, il faut considérer d'autres textes affirmant la volonté divine d'un dépassement définitif de la violence. Selon l'annonce d'Ezéchiel (39,9-10), le jour d'Adonaï est celui où l'on fera un feu de joie avec les armes. Son lieu est en Salem où l'arc et l'épée n'ont pas droit de cité (Ps 76,3- 4). Son désir est de mettre fin à la guerre et sa parole est « paix » pour le peuple qui lui est fidèle (Ps 46,10 ; 85,9). A son peuple, les nations peuvent se joindre, apprenant, à l'écoute de sa Loi et éclairées par sa lumière, à transformer leurs épées en socs et leurs lances en faucilles (Is 2,4 ; Mi 4,3). Son roi est juste ; il s'avance humblement, juché sur un ânon, pour proclamer la paix (Za 9,9-10). Il est proche, peut-être, du Serviteur d'Adonaï dont parle Isaïe, ce juste qui oppose librement la douceur de l'agneau à la violence injuste qui s'acharne sur lui. Aveuglés par leur violence insue, ses agresseurs se croyaient justes, jusqu'à ce qu'Adonaï les confonde en élevant son Serviteur et en le justifiant sans pour autant les châtier, les invitant de la sorte à reconnaître leur violence et à y renoncer (Is 52,13-53,12) 7. Car comment le Dieu de justice pourrait-il se satisfaire de la mort de ses créatures ? Ne se réjouira-t-il pas davantage de la guérison du violent (Ez 33,11) ?
Le lecteur de la Bible adhérera plus volontiers sans doute à cette image d'un Dieu de paix, que le nouveau Testament met davantage en évidence, du reste. Qu'il prenne garde toutefois de se contenter trop vite de cette représentation plus satisfaisante, car il risque de sombrer dans l'imaginaire en niant tout un pan de la réalité auquel Dieu a voulu être mêlé. Les premières pages de la Bible sont formelles, en effet : la violence fait partie intégrante du monde « noachique » qui est le nôtre, et « ce n'est pas en quittant le théâtre de la violence que la douceur se manifestera, mais, au contraire, sur ce théâtre même » 8. C'est sur ce théâtre que Dieu a choisi de se révéler, et le reléguer au balcon n'est sans doute pas la meilleure façon de l'honorer, lui qui a voulu courir le risque de l'être humain et de sa liberté, de sa violence aussi.
Du reste, la Bible semble faire le choix de mettre à plat, les unes derrière les autres, bon nombre d'images que les sociétés et les êtres humains se sont données et se donnent de Dieu, des plus belles aux plus haïssables. Tout se passe comme si, pour elle, il était impossible de chercher Dieu sans prendre la mesure de ce que les hommes font de lui en positif et en négatif. Ainsi, s'ils lui attribuent le désir de rassembler les humains dans la paix, ils lui imputent aussi la responsabilité de l'usine à guerre qu'est le nationalisme ; s'ils voient en lui un Dieu qui fait grâce dans sa volonté de bonheur pour tous, ils lui attribuent aussi des châtiments ignobles pour n'avoir pas à reconnaître dans leur malheur le fruit de ce qu'ils ont semé ; s'ils invoquent son Nom pour célébrer le bonheur d'un salut reçu, ils le font aussi pour justifier les méfaits qu'ils perpètrent et ceux qu'ils subissent. Par déni de leur réalité, ils font de Dieu le reflet tantôt de leur désir de bonheur, tantôt de leur pratique violente, comme pour se dispenser de scruter le lien caché qui les relie et de chercher à traquer dès ses prodromes la convoitise et l'idolâtrie qui la sous-tend.
Mais si la Bible étale ainsi toutes ces images, belles ou hideuses, est-ce pour leur garantir un label de vérité ? N'est-ce pas plutôt pour engager le lecteur à les reconnaître comme siennes, et dès lors à les travailler, à apprendre patiemment à débusquer le mensonge qui les déforme toutes plus ou moins, mais aussi à reconnaître la vérité qui cherche à s'y dire sur l'humain, sur Dieu et sur leurs relations ? N'est-ce pas aussi pour l'inviter à traverser sans cesse ces représentations déformées à la recherche du Dieu qui s'y cache tout en s'y donnant, ce dont témoigne leur pouvoir transformant ? Ainsi en va-t-il du Dieu violent. « L'homme, à travers les verres qui sont ceux de ses propres lunettes, voit un Dieu violent. Cela ne veut pas dire qu'il ne voit pas Dieu. Dieu, en effet ne se refuse pas à ce regard déformé. Dieu accepte de traverser cette vision. Mais c'est pour transformer ce qui est déformé. Pour transformer cette violence, la convertir » 9. Mais peut-il le faire sans que des humains collaborent à cette transformation ? Et n'est-ce pas ce à quoi les Ecritures invitent leur lecteur ?

* * *

En donnant mission à l'homme d'après le déluge, à Noé, d'être l'« effroi » des animaux, Dieu endosse, en quelque sorte, entérine notre violence. Dieu nous a accompagnés en se prêtant à l'image que nos yeux se faisaient de lui : il a pris pour des hommes restés violents le langage et l'image qu'ils pouvaient recevoir ; il pratiquait cette douceur de revêtir lui-même notre violence en attendant qu'il en soit victime dans la chair de son Fils jusqu'à la mort. Après l'image d'une force, il prenait l'image d'une faiblesse, mais ce sont deux images, alors que la vérité est ce qui nous délivre, par la traversée de l'histoire, des images contraires 10.




1. Voir en ce sens l'excellent essai de Thomas Romer, Dieu obscur (Labor et Fides, 1 996) ou celui de Ciuseppe Barbaglio, Dieu est-il violent ? (Seuil, 1994)
2. Cf P Beauchamp, « Au commencement Dieu parle », Etudes, n° 3657, juillet 1986, p. 113
3. Je développe ceci à la suite de P. Beauchamp dans Pas seulement de pain.. , pp. 25-56
4. P. Beauchamp, « La violence dans la Bible », Etudes, n" 3904, avril 1999, p. 488.
5. Cf A. Wénin, « Abraham : élection et salut », Revue Théologique de Louvain, n° 27, 1996, pp. 3-24.
6. Sur ce texte, voir François Varonne, Ce Dieu censé aimer la souffrance, Cerf, 1986, pp 27-41
7. A la fin de la Genèse, l'histoire de Joseph illustre bien le lent chemin de cette sortie non violente de la violence. Sur ce point, voir Pas seulement de pain ., pp. 117-125 et 155-160.
8. P Beauchamp et D Vasse, « La violence dans la Bible », Cahier Evangile, n° 76, 1991, p 46
9. Ibid,p 12
10 Cf P Beauchamp, « La violence dans la Bible », p 496