L’exégète belge André Wénin s’intéresse à l’analyse narrative des récits liés aux premiers rois d’Israël depuis sa thèse de doctorat publiée en 1988. C’est donc en pleine maturité qu’il nous offre aujourd’hui un recueil reprenant cinq articles précédemment publiés. Il y traite de différents personnages des livres bibliques de Samuel et des Rois : Saül, David, Mikal, Bethsabée, Salomon. Plutôt que de présenter une vue d’ensemble, genre qui court toujours le risque d’être trop général et éloigné des textes, il préfère analyser quelques épisodes significatifs : l’attachement de Saül à son pouvoir royal ; l’accession de David au trône après la mort de Goliath puis sa perte de légitimité avec la mort d’Urie ; le mariage de David et Mikal au prix de deux cents prépuces de Philistins ; les trois épisodes où apparaît la belle Bethsabée depuis son bain sur la terrasse jusqu’à ses combines au moment de la succession ; le jugement de Salomon à propos de l’enfant revendiqué par deux prostituées.
Soulignons la remarquable conclusion de l’ouvrage. Elle commence par rappeler les enseignements récents de l’archéologie pour montrer, à propos du royaume de David, le grand écart entre les faits historiques et les récits bibliques. Cette comparaison est alors l’occasion de réfléchir à l’intérêt spécifique des récits de fiction par rapport aux données historiques : « Les “faits” – dans la mesure où les récits en conservent la trace – sont assumés dans un travail d’écriture jouant sur les potentialités de la fiction pour déployer aux yeux du lecteur un monde recréé par les auteurs. ». Un dernier retour sur l’épisode de la parabole de Nathan devant David permet une astucieuse mise en abyme, mettant en parallèle l’effet de cette fiction sur David avec celui du récit biblique sur son lecteur.
L’analyse d’A. Wénin s’appuie sur une étude fine du texte hébreu et recourt aux techniques de la narratologie. Lisant avec une grande subtilité, il sait dévoiler toutes les ambivalences de récits dont la simplicité n’est qu’apparente. Il explique alors la cohérence des personnages en reconstruisant une psychologie dont les actions et paroles rapportées par le récit seraient le symptôme ; il s’appuie pour cela notamment sur D. Vasse, M. Balmary et R. Girard. Il montre aussi finement le rôle du personnage divin, qui compose de son mieux avec les personnalités humaines et la contingence des événements. Au long du livre, de nombreuses notes rendent compte des débats qui animent la communauté des exégètes ; elles permettront aux spécialistes d’éventuels approfondissements. Le grand public, quant à lui, pourra bénéficier sans craindre de s’y perdre des recherches les plus techniques, qu’A. Wénin sait rendre vraiment accessibles. On gagnera à cette lecture autant de science exégétique que de profit spirituel.
 
 
Erwan CHAUTY