Lorsque le pape François, récemment élu, songeait à une devise pour son pontificat, il s'est souvenu d'un commentaire de saint Bède le Vénérable, lu quand il avait dix-sept ans, sur le passage d'évangile de la vocation de Matthieu : « Il le regarda avec miséricorde et le choisit1. » Ces paroles touchèrent profondément le jeune Jorge Mario Bergoglio et il comprit, à partir de ce moment, que toute sa vie devait être une réponse à l'amour miséricordieux de Dieu.
Dans le discours qu'il prononça devant les membres de la 36e Congrégation générale de la Compagnie de Jésus, trois ans après avoir été élu successeur de Pierre, il employait à nouveau cette citation pour conclure un deuxième moment de son intervention intitulé « Se laisser émouvoir par le Seigneur mis en croix » :
Ces paroles de saint Bède le Vénérable sont comme un buisson ardent pour Jorge Mario Bergoglio : le lieu où l'expérience de Dieu est étroitement liée à la mission de libérer le peuple de son esclavage. On comprend alors que le discernement, pour le pape François, est la manière par laquelle chaque chrétien, chaque Église locale et toute l'Église universelle se préparent à un exode vers la Terre promise, inspiré par l'amour miséricordieux de Dieu. C'est ce même amour intime et libérateur que le pape avait expérimenté en 1953, le jour de la Saint-Matthieu.
Le don absolument gratuit de Dieu conduit le croyant à se mettre en route vers le Père, une lumière lui est donnée pour révéler dans les épreuves de la vie ce qui le conduit réellement à la communion avec Dieu. Le discernement consiste à reconnaître en toute situation, à la lumière de l'Évangile, l'appel de Dieu qui nous attire à lui.
Pour déchiffrer cet appel, le signe le plus évident se trouve dans la priorité absolue d'aller à la rencontre de nos frères et sœurs. Ainsi, le discernement consiste avant tout, pour le pape François, à actualiser en toute situation « le lien indissoluble entre l'accueil de l'annonce salvifique et un amour fraternel effectif3 ».
Sans discernement, l'Église perd son audace évangélique et renonce à la croix qu'elle doit porter. Son devoir est de promouvoir un discernement évangélique, qui oriente les choix individuels et collectifs vers le bien et la beauté, et par lequel « on cherche à reconnaître – à la lumière de l'Esprit – “un appel que Dieu fait retentir dans la situation historique elle-même ; aussi, en elle et par elle, Dieu appelle le croyant4” ».
Les évêques sont appelés à exercer un discernement pastoral ainsi qu'à identifier les éléments qui peuvent favoriser l'évangélisation et la croissance humaine et spirituelle5. Dans ce discernement, la logique qui doit prévaloir est celle de l'amour miséricordieux, toujours enclin à comprendre, à pardonner, à accompagner, à attendre et surtout à intégrer6. Il n'est donc pas opportun que le pape remplace les épiscopats locaux dans le discernement de toutes les problématiques qui se présentent sur leurs territoires7.
S'il revient aux évêques d'identifier ce qui est propice à l'évangélisation et à la croissance des personnes, la mission des prêtres est d'accompagner, selon l'enseignement de l'Église et les directives de leur évêque. Leur tâche consiste à percevoir ce qui aide et ce qui n'aide pas, en prenant en compte la singularité de chaque situation8.
Mais le discernement n'est pas une tâche exclusivement réservée aux pasteurs, elle appartient à l'ensemble des fidèles. Chaque chrétien et chaque communauté doivent discerner le chemin sur lequel le Seigneur les appelle. Il s'agit là de prendre conscience de notre propre existence devant Dieu. Ainsi, la décision de se marier et de fonder une famille doit être le fruit d'un discernement vocationnel9.
Le pape François insiste sur la mission de discernement qui incombe aux laïcs, il affirme en effet que la direction spirituelle, bien qu'elle soit habituellement assurée par des prêtres, n'est pas un charisme ministériel mais bien baptismal. Il est donc urgent d'impliquer des laïcs dans le discernement vocationnel, au risque de voir disparaître toute vocation10.
Dieu dote la totalité des fidèles d'un instinct de foi – le sensus fidei – qui les aide à discerner ce qui vient réellement de Dieu11. Avec ce sensus fidei, les croyants sont en mesure de discerner, en profondeur et selon les critères de l'Évangile, leur propre existence, leurs expériences ou leurs désirs, et ainsi orienter leur vie dans la bonne direction.
L'Église doit encourager la maturation d'une conscience éclairée, formée et accompagnée par le discernement responsable et sérieux des pasteurs. Ceux-ci doivent laisser la conscience des fidèles s'exprimer, car ils répondent souvent de la meilleure façon possible à l'Évangile, ils s'accordent à la réalité complexe des circonstances et en viennent à développer leur propre discernement face à des situations que bien peu sont capables d'imaginer.
La conscience personnelle peut reconnaître qu'une situation ne répond pas pleinement à la proposition commune de l'Évangile mais, pour autant, elle peut constituer une réponse généreuse, honnête et sincère, offerte à Dieu dans la complexité des circonstances. C'est là l'offrande que Dieu nous demande, même si elle n'est pas encore tout à fait ajustée à l'idéal souhaité. Ceux qui discernent ainsi le font de manière correcte, à condition qu'ils acceptent que ce discernement demeure vivant et toujours ouvert à de nouvelles étapes de croissance ainsi qu'à de nouvelles décisions qui permettront à l'idéal de se réaliser plus pleinement12.
L'Église dans son ensemble doit alors entrer dans ce processus qui a pour point de départ le discernement et qui va jusqu'à la purification et la réforme. L'essentiel est de ne pas chercher à avancer tout seul, mais au contraire de toujours compter sur les frères qui nous sont donnés et particulièrement sur la direction des évêques, tout cela dans un discernement pastoral, sage et réaliste, afin de reconnaître les chemins de l'Esprit13.
Le discernement ne cherche pas à atteindre une vérité monolithique, imperméable au passage du temps et imperméable aux sources extérieures au magistère de l'Église. Quand il s'agit d'identifier la volonté de Dieu, le discernement de la présence des semina verbi14 dans d'autres cultures sera d'un grand renfort. C'est le cas, par exemple, de la réalité du mariage et de la famille car, en dehors du mariage qui nous est habituel, il existe des situations provenant d'autres traditions religieuses qui connaissent, elles aussi, des aspects positifs comme négatifs et qui sont riches d'enseignements.
Dans un discernement constant, l'Église peut se rendre compte qu'elle est attachée à des usages qui lui sont propres et qui ne sont pas directement liés au cœur de l'Évangile15, et à des préceptes de conduite de vie qui, aujourd'hui, n'ont plus la même force pédagogique que par le passé. Dans ce cas, l'Église doit pouvoir s'en dispenser et ne pas exiger des fidèles ce qui est propre à des circonstances particulières ou à des temps révolus.
Un discernement particulier ou spécial est indispensable pour un accompagnement pastoral des personnes séparées, divorcées ou abandonnées. En effet, ces situations exigent un discernement attentif et un accompagnement des plus respectueux, évitant tout langage ou attitude qui puissent faire peser un sentiment de discrimination, mais favorisant plutôt une pleine participation à la vie de la communauté16.
L'Église ne peut faire abstraction des exigences de vérité et de charité qu'elle doit reconnaître, à la lumière de la parole de Dieu, comme des orientations majeures de la vie chrétienne. Toutefois, elle est aussi capable d'admettre qu'un jugement objectif sur une situation objective n'entraîne pas nécessairement un jugement sur l'imputabilité ou la culpabilité de la personne impliquée17. Les conséquences des actes accomplis ne sont pas nécessairement les mêmes dans tous les cas18 et des circonstances atténuantes existent.
Le pape demande instamment que l'on se souvienne d'un enseignement de saint Thomas d'Aquin et qu'il soit pris en compte dans le discernement pastoral : « Bien que, dans les principes généraux, il y ait quelque nécessité, plus on aborde les choses particulières, plus on rencontre de défaillances19. » Ce serait en effet mesquin de ne considérer l'agir d'une personne uniquement selon sa conformité à la loi ou à une norme générale. Car, plus on va entrer dans les détails, plus les exceptions vont se multiplier20.
Se référant à la connaissance générale de la norme, d'une part, et à la connaissance particulière issue d'un discernement pratique, d'autre part, saint Thomas affirme que « s'il arrive qu'il n'en ait qu'une, il doit plutôt avoir celle-ci, à savoir la connaissance des particuliers, qui sont plus proches de l'action21 ». Le degré de responsabilité n'étant pas le même dans toutes les situations, les conséquences et les effets de certaines normes ne devraient donc pas toujours être les mêmes22. Ainsi en est-il d'une personne responsable et mesurée, qui n'a pas l'intention de faire passer ses désirs avant le bien commun de l'Église et qui est accompagnée par un pasteur qui prend au sérieux la situation. Un discernement qui n'aboutit pas aux préceptes de la loi générale ne signifie pas que l'Église joue un double jeu, mais au contraire qu'elle sait accompagner toute situation particulière.
Les personnes séparées, divorcées, abandonnées comme divorcées et remariées doivent savoir qu'un discernement personnel et pastoral existe23, car le discernement est forcément vivant et ouvert à de nouvelles étapes de croissance, permettant ainsi à un idéal de se réaliser plus pleinement. Croire que tout est blanc ou noir revient parfois à fermer le chemin de la grâce et de la croissance, et risque de décourager des chemins de sainteté qui rendent gloire à Dieu24.
Mais un discernement pratique dans une situation particulière ne peut pas non plus être élevé à la catégorie de norme, car il ouvrirait une casuistique intenable qui mettrait en danger des valeurs qui méritent d'être préservées25.
Tout cela établit un cadre et un climat de discernement, qui entend notamment s'opposer à une morale glaciale et bureaucratique particulièrement impropre aux situations les plus délicates. L'environnement doit être celui d'un discernement pastoral, où il ne suffit pas de penser, de faire ou d'organiser le bien, mais de l'accomplir avec le bon esprit26. C'est cette logique qui doit prédominer dans l'Église27.
Après cette brève description de la manière dont le pape François conçoit le discernement, voici quatre éléments qui donnent à voir comment il relie sa vision du discernement à celle des Exercices de saint Ignace. Ces pistes ainsi suggérées nous permettront de comprendre le fondement spirituel de la contribution du pape François à cette question.
Selon le pape François, le discernement de la présence de Dieu dans la vie de chaque fidèle et de chaque communauté se déploie en trois moments :
1. Le moment où les évêques identifient dans leurs orientations ce qui aide le pèlerinage de l'Église du Christ ;
2. Le moment où les accompagnateurs, en dialogue avec chaque croyant, guident la mise en œuvre de ces orientations générales ;
3. Le moment où le croyant accueille la meilleure décision possible, en tenant compte des orientations du magistère.
Identifier, guider et accueillir. Ces trois verbes trouvent leur reflet dans les trois actions que saint Ignace définit comme l'objectif des Exercices spirituels (Ex. sp., 1) :
1. « Les différents modes de préparer et de disposer l'âme à se défaire de toutes ses affections déréglées…
2. « et, après s'en être défait, à chercher…
3. « et à trouver la volonté de Dieu dans le règlement de sa vie, en vue de son salut. »
En effet, les pasteurs préparent et disposent le peuple des fidèles en ayant au préalable discerné et identifié ce qui est le plus utile. Les accompagnateurs qui guident le discernement cherchent la volonté de Dieu avec chaque personne ou communauté. Enfin, trouver ce que Dieu veut, c'est se prononcer et accueillir la meilleure réponse possible dans une situation donnée.
Dans ce jeu de lectures parallèles, une différence apparaît, dans la perception du pape François, au sujet du magistère adressé au croyant pour trouver la volonté de Dieu dans sa vie concrète. Ici, la lumière du magistère vise à préparer le croyant à vivre une expérience médiate de Dieu. Dans les Exercices, en revanche, les médiations tendent à disparaître au profit de la rencontre immédiate de la créature avec son Créateur. Selon les mots de saint Ignace, « il est plus convenable et beaucoup mieux que le Créateur et Seigneur se communique lui-même à cette âme qui est toute à lui, l'attirant à son amour et à sa louange, et la disposant à suivre la voie dans laquelle elle pourra mieux le servir dans la suite » (Ex. sp., 15).
Saint Ignace lui-même est conscient de cette différence lorsqu'il affirme que, de même qu'il est légitime qu'en dehors des Exercices, celui qui aide à discerner puisse être porté à encourager ou non une décision, de même, pendant les Exercices, « celui qui les donne ne doit ni pencher ni incliner d'un côté ou de l'autre mais […] laisser agir immédiatement le Créateur avec la créature, et la créature avec son Créateur et Seigneur » (Ex. sp., 15).
Nul doute que le Magistère cherche à susciter une décision qui soit en accord avec la volonté de Dieu, mais ce dialogue au sein de l'Église ne peut intervenir qu'avant ou qu'après les Exercices. Enfin, nulle décision ne pourra être prise si elle est contraire au Bien, si elle est défendue (Ex. sp., 23) ou n'est pas admise dans l'Église catholique, notre Sainte Mère (Ex. sp., 170).
Pour mieux comprendre encore le discernement selon la pédagogie du pape François, il faut regarder du côté du présupposé favorable des Exercices. À travers les annotations et leur intitulé, ce présupposé, c'est-à-dire un a priori de bienveillance, indique la manière dont se vit la relation d'aide et d'accompagnement selon la pédagogie des Exercices. « Tout bon chrétien doit être plus enclin à sauver la proposition du prochain qu'à la condamner » (Ex. sp., 22).
Parmi les croyants, nul ne devrait prétendre détenir toute la vérité, ce serait en effet une attitude de condescendance qui oublie que toute personne est dépositaire d'une partie de la vérité. Dans l'attitude de bienveillance, les croyants qui discernent doivent plutôt s'appuyer sur un dialogue en Église et sur la grâce de Dieu, que sur des cheminements solitaires et isolés28. Les Exercices nourrissent et accompagnent l'espoir qu'un progrès est possible vers une communion toujours plus grande, où Dieu est cet horizon qu'il nous est permis d'approcher. Accompagnateur et accompagné profitent l'un et l'autre de cette aide mutuelle, s'ils s'ouvrent réciproquement à la vérité qui peut germer en l'autre.
L'espoir de trouver des traces de Dieu en l'autre nous rend capable de voir plus loin que les propositions que cette personne peut faire ou que la manière dont elle va formuler les principes qu'elle se donne. Car il se peut que ces principes soient difficiles à tenir et que la personne ne sache pas comment s'y prendre. Nonobstant, avant de condamner toute proposition, saint Ignace propose que l'accompagnateur « s'enquière de la manière dont il la comprend ». S'il la comprend mal, « qu'on le corrige avec amour ». Et si cela ne suffit pas, « qu'on cherche tous les moyens appropriés pour que, la comprenant bien, il se sauve » (Ex. sp., 22).
Cette insistance à sauver la proposition du prochain est également présente dans ce chemin en quête de vérité qu'est le discernement selon le pape François. Et la figure de Matthieu en est la référence : un collecteur d'impôts à qui personne n'aurait donné un avenir comme disciple du Christ mais qui est pourtant regardé avec un amour miséricordieux et, aussi surprenant soit-il, est bel et bien choisi par le Christ. En effet, Jésus sait déceler dans le cœur de Matthieu, là où rien ne le laissait présager, un désir profond de Dieu, du Royaume et va le rendre capable de donner une réponse sans réserve.
Le pape François aspire à susciter en chaque chrétien – particulièrement chez les plus exclus – une réponse à cette initiative d'amour d'un Dieu qui l'appelle, le choisit et compte sur lui. Encourager cette espérance chez le croyant résonne pleinement avec l'esprit de l'a priori de bienveillance des Exercices.
Les Exercices suscitent, tant pour celui qui les donne que pour celui qui les reçoit, un approfondissement de la vie spirituelle. Cependant, seul celui qui les donne propose les Exercices et les accompagne : il en donne la manière et le parcours, il en expose le contenu de manière brève, ainsi que les thématiques, il accompagne les questionnements qui apparaissent chez le retraitant et le met en garde de ne pas prendre d'engagements à la hâte, il invite le retraitant à demeurer dans chaque exercice le temps qui a été fixé, il s'informe des agitations et des mouvements intérieurs de celui-ci, etc. Rien à voir donc avec une relation symétrique, les rôles de l'accompagnateur et de l'accompagné ne sont ni réciproques ni interchangeables. Il en est de même dans la relation entre le croyant et l'Église hiérarchique.
Le discernement auquel le pape François se réfère dans son enseignement part de ce principe qui régit tout croyant et que saint Ignace explicitera dans la première règle pour sentir avec l'Église : « Nous devons avoir l'esprit disposé et prompt à obéir en tout à la véritable Épouse du Christ notre Seigneur, qui est notre Sainte Mère l'Église hiérarchique » (Ex. sp., 353).
Dans le même sens, lorsqu'il explicite « les choses pour lesquelles on doit faire élection », le « pèlerin » exprime « qu'il est nécessaire que toutes les choses […] soient bonnes ou indifférentes en elles-mêmes, et qu'elles soient en accord avec notre Sainte Mère l'Église hiérarchique, et ne soient ni mauvaises ni en opposition avec elle » (Ex. sp., 170). Pour des raisons mystiques, tout discernement doit être placé dans les limites fixées par l'Église, l'Épouse du Christ, « car entre le Christ notre Seigneur, l'Époux, et l'Église, son épouse, c'est le même esprit qui nous gouverne et nous dirige pour le salut de nos âmes » (Ex. sp., 365).
Cependant, en voulant tenir à la fois cette ardeur à sauver la proposition du prochain et en même temps celle d'obéir en tout à l'Église hiérarchique, on se retrouve devant un équilibre instable. Là encore, l'accompagnateur doit aider le croyant à discerner et à choisir la meilleure réponse possible dans sa situation concrète afin de sauver son âme ; de manière qu'il soit possible de poursuivre son cheminement avec cet équilibre instable, tout en demeurant au sein de l'Église.
Dans la même veine, il est facile de retrouver dans les mots du pape François l'inspiration mystagogique des Exercices spirituels. Il propose, comme nous l'avons vu dans la première partie, un discernement où le bien est d'abord identifié, puis un discernement qui se tourne vers ce qu'il y a de meilleur et, enfin, un discernement qui prend corps dans ce qui est possible.
Les règles de discernement pour la première semaine correspondent aux deux premières étapes du discernement suggérées par le pape François : identifier ce qui est utile et accompagner vers ce qui est le plus profitable.
Dans ces règles, il s'agit de « sentir et reconnaître en quelque manière les diverses motions qui se produisent dans l'âme, les bonnes pour les recevoir et les mauvaises pour les rejeter » (Ex. sp., 313). Le discernement spirituel consiste donc à détecter ce qui est bon ou non de conserver et cela constitue la première étape de la vie spirituelle, également appelée la voie purgative. Ce discernement est donc propre aux commencements de la vie spirituelle, et c'est de cela qu'il est question en première semaine.
En revanche, les règles de discernement de deuxième semaine s'adressent davantage à ceux qui sont plus avancés dans la vie spirituelle, on parle ici de la voie illuminative. À ce stade, le retraitant qui cherche à progresser dans la vie spirituelle découvre avec quelles subtilités une consolation peut finalement ne pas être le fruit du bon esprit. Celui qui est ainsi tenté sous l'apparence du bien devra d'autant plus recourir à un discernement qui exige de lui lucidité, courage et grande attention aux mouvements intérieurs et à leurs évolutions.
Alors que, dans la première semaine, l'accent est mis sur les symptômes du bon ou du mauvais esprit sur les motions du retraitant et les réactions suscitées en lui, dans la deuxième semaine, l'accent est mis sur les causes et l'évolution de la consolation et de la désolation. Les règles de première semaine proposent une lecture synchronique des motions, tandis que celles de la deuxième semaine proposent une relecture diachronique.
Lorsque le pape François prône la priorité du temps sur l'espace, il fait référence à l'importance accordée prioritairement au cheminement personnel plutôt qu'au fait de savoir si un certain horizon de perfection est atteint ou non. De la même manière, les règles de deuxième semaine se concentrent sur le déroulement de nos pensées (Ex. sp., 333) plutôt que sur leur contenu. Car le mauvais esprit peut se déguiser dans le but de toucher l'âme, afin qu'une fois atteinte, il puisse la tromper et la pervertir. Ce n'est que lorsque le retraitant s'en rend compte et relit ce qui s'est passé qu'il peut reconnaître là où Dieu était et là où il n'était pas.
En résumé, les règles de discernement de deuxième semaine rappellent au retraitant que Dieu est celui qui prend toute initiative et fait connaître sa volonté quand il veut et comme il veut. Il ne se laisse jamais saisir du premier coup. Le pape François croit fermement à la possibilité de l'irruption de Dieu dans nos vies, ce qui n'est pas forcément une vision répandue au sein de l'Église. En ce sens, il serait donc possible d'opter au départ pour une posture hétérodoxe, pour autant que, chemin faisant, l'on désire voir se réaliser la volonté de Dieu. Ce qui, alors, semblait insuffisant aux yeux de la loi pourrait s'avérer finalement, aux yeux d'un Dieu Père et miséricordieux, être la meilleure des décisions possibles. Et, dans ce cas, l'Église ne peut qu'accueillir et respecter le « déjà là, mais pas encore » de la présence divine.
***
Dans ses exhortations apostoliques et ses encycliques, le pape François utilise divers adjectifs pour accompagner le mot « discernement ». Ainsi, il est question du discernement pastoral, du discernement évangélique, du discernement vocationnel, du discernement personnel, du discernement spécial ou particulier ou encore du discernement pratique. Dans la perspective ignatienne, l'habitude est de qualifier le discernement de « spirituel » et on peut sans crainte affirmer que cette expression englobe les différents sens utilisés par le pape François. De fait, on peut entendre le terme « spirituel » comme embrassant toutes les dimensions par lesquelles la personne entre en relation avec Dieu et chemine dans l'Église.
Pour des raisons théologiques et ecclésiologiques, chaque discernement doit être vécu et conduit dans le cadre de l'Église et selon ses limites. L'appel de Matthieu, comme paradigme de la vocation, en décrit bien le processus.
Cependant, la pédagogie spirituelle diffère toujours d'un cas à l'autre. Dans un processus de discernement, tel que le pape François le propose, les orientations apportées par les pasteurs ou d'autres personnes en responsabilité dans l'Église jouent un rôle décisif en vue de chercher et trouver la volonté de Dieu. La dynamique des Exercices, quant à elle, mise sur un progrès silencieux par des médiations, qui permettent au retraitant de connaître et de choisir la décision qui le conduit le plus à aimer et servir sa Divine Majesté.
Quoi qu'il en soit, le discernement sera toujours une tâche incontournable pour ceux qui entendent suivre le Christ. Les futures décisions que prendront chaque croyant et chaque communauté chrétienne seront d'autant plus facilitées par ce travail de discernement et d'attention que celui-ci leur apportera, dans l'espérance de la grâce agissante de Dieu, le courage nécessaire pour le réaliser et l'audace de s'y engager.
NOTES :